Punk polonais histoire et actualité

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Laurent NTZine
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Re: Punk polonais histoire et actualité

Message par Laurent NTZine » 30 déc. 2014 13:48

Ca te seras utile (ou pas) mais voilà l'historique de Dezerter paru dans Nycthémère zine n°5 :

Ici aurait du figurer une interview du groupe, mais après 3 tentatives restées lettres mortes, je me suis résigné à faire cet historique. Résigner est bien le bon mot puisque j'avais travaillé sur des questions qui aurait du éclairer certains aspects de l'histoire du groupe. En l'absence de ces éclaircissements, ce texte ne pourra qu'en souffrir. Dommage.

Dezerter est fondé à Varsovie en mai 1981, d'abord sous le nom de SS-20. Les membres en sont alors Robert « Robal » Matera au chant et à la guitare, Krzysiek Grabowski à la batterie et Darek « Stepa » Stepnowski à la basse bientôt rejoint par le chanteur Darek 'Skandal' Hajn. Cette même année, un premier enregistrement est à mettre au crédit de SS-20 : « Rehearsal ». Le 13 décembre 1981, devant l'ampleur de la contestation du régime communiste et la popularité du syndicat Solidarnosc, le général Jaruzelski décrète la loi martiale (Le 31 mars 2006, il a été inculpé de « crime communiste » et encourt jusqu'à 8 années de prison pour avoir instauré la loi martiale en 1981. Le 17 avril 2007, il a officiellement été mis en accusation). Un couvre-feu instauré entre 22 heures et 5 heures du matin, les déplacements d'une ville à une autre soumis à autorisation, voilà quelques-uns des effets de l'état de siège. SS-20 étant le nom des missiles soviétiques, le groupe a été contraint de le changer en Dezerter suite à la réaction des autorités [comment les choses se sont-elles passées concrètement avec les autorités polonaises, c'était la première question de mon interview...n'y a-t-il pas aussi une part de « fantasme » à s'affirmer persécuté ? Je pose la question sans vouloir minimiser le caractère répressif de la loi martiale, bien sûr, j'aurais voulu en savoir plus tout simplement]. Mais la méfiance est de rigueur aussi envers Solidarnosc trop proche du milieu catholique : « Nous sommes bien évidemment en relation avec l'opposition mais nous ne travaillons pas ensemble » (Cf split zine Calade shnikov / il fait froid chez nous). Cherchant une voie qui ne soit ni celle du pouvoir communiste ni celle de l'Église, le groupe déclare que « effectivement, beaucoup de gens pensent qu'il n'y a que cette alternative entre ordre noir et ordre rouge... mais peut-être et même certainement qu'il y a un autre chemin à construire, un chemin difficile que l'on doit construire soi-même » (Cf Apatride n°3). Fin 1981 ou début 1982, le groupe remporte un prix lors du festival des jeunes artistes à Varsovie et l'année suivante, on voir apparaître Dezerter dans le film « To tylko rock », filmé sur scène lors du festival Gradowie. La première production à mettre au crédit de Dezerter sort en 1983 : un EP 4 titres « Ku przyszłości » (en français : « vers le futur ») sur le label d'état Tonpress (Tonpress N-65), avec une pochette minimaliste commune à toutes les productions du label (seule la couleur changeait). Le zine français No Government mentionne ce disque comme étant le premier de punk à sortir en Pologne. L'anecdote veut qu'il soit paru grâce à une erreur de la censure et que le chef de la censure a été viré pour cela (cf Rock'info n°8). L'avis de Dezerter à propos de Tonpress est digne d'être mentionnée : « ils ont produit les groupes punks uniquement pour le fric, et pour pouvoir canaliser ces groupes. Ainsi l'Etat a pu contrôler ceux qui avaient des textes corrosifs et considérés comme dangereux » (No government n°14, reprise dans le Best of 1985-2000 du zine). Cette opinion poussera d'ailleurs Dezerter a créer son propre label de cassettes, Tank records. Deux cassettes live sont sorties : « Jeszcze zywy czlowiek » en 1984 et « Izolacja » en 1985. La première est un enregistrement au festival de Jarocin, gros festival où en 1984, Dezerter s'est produit devant 20 000 personnes, mais festif hyper fliqué, théâtre régulier de bastons entre punks et skins, et qui devrait son existence à l'implication d'un notable polonais. Epique édition de 1984, sous une chaleur étouffante : Skandal et Robal ayant demandé que des jets d'eau soient dirigé sur le public afin de le rafraîchir et de limiter les nuages de poussière, les sonorisateurs n'ont rien trouvé de mieux à faire que de leur couper leur micro respectifs. La foule a répondu par des jets de pierre sur la cabane qui les abritaient. L'incident s'est tassé sans qu'il soit nécessaire de faire appel aux 10 000 policiers stationnés dans une forêt toute proche qui n'attendaient qu'un signal pour intervenir... Autre anecdote pendant ce festival, alors que Dezerter jouait son titre « Nienawiść i wojna », une personne du public a commencé à agiter un nunchaku, ce qui fit hurler à Robal ce cri du coeur : « jetez ce bandit en prison » ! Quant à la seconde cassette, elle regroupe un live enregistré au club universitaire « Hybrydy » avec en face B, des titres d'un groupe underground russe qui serait nommé Nowofalowych. En 1985, le bassiste Stepa abandonne le groupe appelé par l'armée pour un plus utile passe-temps (hum, hum – après avoir fait son service, il aurait quitté la Pologne), remplacé par Pawel Piotrowski jusqu'en 1993. Puis, c'est au tour du chanteur Skandal de quitter le groupe en 1986, pour cause d'addiction à l'héroïne (9 ans plus tard, il décédera d'une overdose), ce qui força Robal a reprendre le chant.
En 1987, c'est la sortie de l'album « Underground out of Poland » sur le label américain Maximum rock n'roll. En 1985, alors que D.O.A. jouait à Varsovie, Joe Shithead a découvert Dezerter et a proposé de sortir des bandes de Pologne pour constituer le LP. Ce disque est composé du EP de 1983 (titres 1 à 4), du concert de Jarocin en 1984 (titres 5 à 9 et 17-18) et d'enregistrements faits pour la radio polonaise (titres 10 à 15 et 18). Cela a permis au groupe de se faire connaître mais quelques années plus tard, le constat était un peu amer : « On n'a pas aimé la pochette, et la démarche de Maximum rock n'roll a été très commerciale. De plus, nous n'avons eu en tout et pour tout que 10 exemplaires de l'album » (Cf No government n°14). Ce disque a ensuite été réédité en 1996 par le label polonais QQRYQ puis par Pop noise en 2002. 1987 est également l'année de sortie de l'album « Kolaboracja ». Disque particulier puisque soumis à une censure visible jusque sur la pochette du LP : un des titres est tout simplement remplacé par un série de points de suspension. En Pologne, tous les média sont alors des monopoles d'Etat, journaux, radio, télévision. Avant de pouvoir graver un disque, il faut en montrer les textes pour les soumettre à autorisation. Et la même chose est à faire avant de pouvoir faire un concert. De la sorte, les titres peuvent être changés ou encore des « bips » être gravés en lieu et place des paroles d'origine. Le groupe explique comment cela se passe : « comme il n'y a pas de label indépendant, tous les disques sortant en Pologne sont sur des labels d'Etat ; et il y a une loi comme quoi tout matériel enregistré destiné à être vendu doit recevoir le visa de la censure [...] Maciek, notre manager, allait au bureau de la censure avec 40 textes, la censure en enlevait une vingtaine, en disant que, de toutes façons, ça ne pouvait pas passer parce que c'était trop engagé... et puis, sur la vingtaine de textes restant, il fallait se battre par rapport à des bouts de phrases ; et Maciek de répondre au censeur qui lui disait que telle ou telle phrase était trop engagée, 'mais non, vous la comprenez mal, monsieur, nous on comprend autrement'... Et ça a duré pendant plusieurs mois comme ça... Souvent, même, ça dépendait de l'humeur du censeur : un jour il trouvait un texte trop engagé et ce n'est pas fini... Sur nos disques il y a des 'bips' : nous les avons acceptés, de par la force des choses... En effet avoir un 'bip' , ça signifie qu'on a pas voulu enlever nos paroles, et c'est une manière de montrer aux gens que la censure est vraiment là... Pas mal de textes sont quand même passés sur le troisième LP parce que Maciek n'arrêtait pas de donner des textes au censeur, si bien que finalement, il craquait ! Et puis, il y a le problème des titres : le premier LP devait s'appeler 'Collaboration', ça n'a pas été accepté... Il y a aussi un morceau qui s'appelle 'Escroc', sur le troisième LP : le titre ne figure pas, il y a trois points de suspension à la place !... » (Cf Apatride n°3, novembre 1989). Pendant ce temps, le batteur Krzysziek édite un fanzine gratuit du nom de Azotox qui arrêtera sa parution faute d'argent. Si l'on en croit Piotr Wierzbicki, ancien rédacteur du zine QQRYQ, une activité de fanzineux était totalement illégale et passible d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à 2 ans (Cf split Il fait froid chez nous / calade shnikov. Piotr souligne néanmoins qu'il n'a jamais été inquiété pour cette activité, bien que les autorités aient été parfaitement au courant de celle-ci). Le 9 novembre 1989, c'est la chute du mur de Berlin, puis à l'automne 1991, les républiques constituantes de l'URSS proclament l'une après l'autre leur indépendance, et le 8 décembre, l'Union est dissoute. Les membres de Dezerter vivent ces évènements de l'intérieur : lorsque No Government questionne le groupe sur la revendication d'indépendance des républiques soviétiques, il est répondu que « c'est très compliqué. On ne peut pas empêcher des peuples de vouloir être libres. Par exemple, la Lituanie faisait partie de l'Europe avant son annexion. Maintenant, elle est dans un empire différent, mais c'est normal que la Lituanie réclame son rattachement à l'Europe », puis prophétisant, que « L'URSS sera peut-être rayé de la carte » (Cf No government n°14).
Les albums s'enchaînent ensuite, « wszyscy przeciwko wszystkim » dont la version française est à mettre au crédit du label Dissidence (ex-Negative records, label fondé autour du groupe The Brigades) et aurait été vendu à 90 000 exemplaires en quelques années, puis un film sur le groupe en 1994 : « Dezerter - nie ma zagrożenia » réalisé par Pawła Konnaka. Le groupe sort par la suite deux albums pour le label Warner, « Mam kly mam pazury » (1996) et « Ziema jest plaska » (1998) avant de signer sur un label indépendant polonais qui édite habituellement des groupes de métal : Metal Mind Productions. A la suite de la publication du livre de Mikolaj Lizut « Punk rock later » en 2003, 7 groupes de l'underground des années 80 ont joué ensemble : Dezerter, Brygada Kryzys, Kult, Ksu, T.Love Alternaive, Pidzama porno et Armia. Le livre est constitué d'entretiens avec ceux qui étaient les leaders de la scène indépendante polonaise. En mai 2007, le Dezerter est le sujet d'un reportage télévisé diffusé par l'émission de Arte, Tracks.

Sources :
No government, best of 1985-2000, 2002, 152 p.
Discography of eastern european punk music 1977-1999, Mala ewolucja / Tian an men 89 records, 2ème édition, 2000, 217 p.
split zine Calade shnikov / il fait froid chez nous
zine Rock info n°8
zine Les bruits défendu n°2, juin 1990
Zine Apatride n°3, novembre 1989
http://www.dezerter.most.org.pl/
http://meatexz.com/phpBB2/viewtopic.php ... e223055f97

Laurent NTZine
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Re: Punk polonais histoire et actualité

Message par Laurent NTZine » 30 déc. 2014 13:59

Et puis un autre article paru dans Nycthémère zine n°6 (il manque l'illustration évoquée dans le contenu du texte...) :

LE PUNK ET LA CENSURE EN POLOGNE SOVIETIQUE (et un peu ailleurs aussi...)

Le punk semble avoir débarqué sur les terres polonaises dès 1977 puisque le groupe de Gdansk, Deadlocks s'est formé cette année-là1. C'est-à-dire que très vite, et dès avant même la proclamation de l'état de siège par le général Jaruzelski le 13 décembre 1981, les punks polonais eurent affaire à la censure. Il faut dire que le punk et le rock plus généralement était vu d'un très mauvais oeil dans les pays soviétiques. Par exemple, à peine arrivé au pouvoir en 1984, le secrétaire général du PCUS (autrement dit le véritable dirigeant de l'URSS), Konstantin Tchernenko accuse le rock d'avoir été « implanté en Russie par la C.I.A. »2.
Patrice Herr Sang signale qu'à l'époque « la poste polonaise garde pour contrôle le courrier envoyé de Paris à Varsovie, et cela jusqu'à deux mois (comme en 1979 lors de l'envoi d'une cassette de musique punk). Les lettres y sont ouvertes. Les réponses Varsovie-Paris n'ont pas plus de chance et on peut lire ce cachet sur les enveloppes arrivées ouvertes en France : ''contrôle librairie étrangère loi du 6 mai 18.. et loi du 29 juillet 18..'', chiffres terminaux perdus dans le vide des bureaux de la censure »3. Si des groupes punks polonais ont réussi à sortir des disques dès 1981, ces premières réalisations ont bénéficié du concours de labels étrangers, aussi le premier disque punk paru en Pologne est réputé être le EP 4 titres « Ku przyszłości » de Dezerter en 1983 sur le label d'état Tonpress. Au micro des journalistes de la chaîne de télévision Arte, le chanteur Robert Matera déclara : "Quand on voulait enregistrer une chanson, il fallait la présenter à la commission de censure pour obtenir une autorisation. Des quarante chansons que nous leur avons soumises, seules environ quinze ont été acceptées. Et encore, il y avait des remarques et des corrections. Ça, c’était le premier problème. Le problème suivant, c’était le système économique de l’époque qui ne nous permettait pas, officiellement, de gagner de l’argent. Et puis, l’Etat exerçait un contrôle sur la musique. Pour avoir le droit de faire de la musique, il fallait une autorisation spéciale. Pour l’obtenir, il fallait avoir des diplômes délivrés par certaines écoles. Donc, nous n’avions pas cette autorisation."4. Si le groupe insistait pour ne pas déjuger ses propres textes, les membres de Dezerter précisent : « Parfois, nous confions la bande aux censeurs qui effacent certains passages, ou masquent les mots indésirables avec un bip sonore »5 On peut notamment entendre ces bips dans les chansons du groupe Siekiera, Fala ou du groupe Proletaryat, Chlajmy. L'album d'où est issu ce dernier titre semble daté de 1990 indiquant par là, la persistance de la censure tardivement. Le système censorial a été décrit par Ioulia Zaretskaïa-Balsente, mais pour le cas de l'URSS6. Il est probable qu'un système similaire ait été à l'oeuvre dans chacun des pays satellites communistes. Par exemple, les propos des musiciens est-allemands du groupe L'Attentat font fortement écho avec ceux des polonais précités : « Il y a très peu de groupes indépendants : la plupart, qu'ils jouent du rock, du blues, de la disco ou autre, passent devant une commission de censure qui décide si ils peuvent jouer ou non, et si oui, ils gagnent de l'argent et jouent dans les concerts officiels. Leurs textes sont visés par la censure. Et si tu ne fais pas ça, tu n'as officiellement pas le droit de jouer. »7. Situation identique en Hongrie si l'on en croit Tamas, bassiste des Trottels : « Il n'y a que trois labels, et monopoles d'Etat, bien sûr, comme dans tous les pays de l'Est. Quiconque désire enregistrer un disque doit passer devant une commission qui décide si c'est possible. »8
Ioulia Zaretskaïa-Balsente rappelle que les différents organismes de la censure oeuvrant en URSS étaient liés à la Glavlit et celle-ci a perduré jusqu'en 19919. Les critères d'interdiction de publication par le Glavlit figuraient dans le décret de 1922 : agitation contre le pouvoir soviétique, ouverture du secret militaire de la République, diffusion d'informations fausses, provocation de fanatisme national et religieux, caractère pornographique. Le contrôle de la production phonographique consistait en l'édition de listes des disques interdits à la distribution. Des listes qui devaient ressembler à celle ci-dessous, émise par l'organisation de la jeunesse communiste du PCUS, le Komsomol10 de la ville de Mykolaiv en Ukraine et dont le préambule signifie qu'il s'agit d'« une liste pilote des groupes des musiciens et interprètes étrangers dont le répertoire contient de la matière idéologiquement outrageante, ainsi qu'une liste des groupes similaires de l'URSS. »

Parmi les groupes incriminés encore en 1985, on remarquera que les cinq premiers le sont pour le motif « punk », à savoir qu'il s'agit des Sex Pistols (n°1), B-52 (n°2), Madness (n°3), ? (n°4) et Clash (n°5) auxquels ont été ajouté Blondie (n°38) et les Ramones (n°29). Beaucoup de groupes de Hard-rock figurent dans cette liste : Kiss (n°6), AC/DC (n°11), Judas Priest (n°10), Iron Maiden (n°9), Black Sabbath (n°13), Alice Cooper (n°14), Scorpions (n°16), Van Halen (n°30), etc. Les motifs du courroux des autorités soviétiques : « sexe »,, « érotisme », « violence », « culte de la personnalité11 », « anticommunisme12 », « racisme », « homosexualité », « outrages à la morale religieuse13 ».
Konyk, chanteur du groupe tchécoslovaque Zona a, mentionne qu'à la même époque, « il y avait une liste noire de groupes et nous figurions en tête de liste »14.
On notera avec intérêt que cette même année 1985, de l'autre côté du « rideau de fer », autrement dit dans le « Monde Libre », voit la constitution du Parents' Music Resource Center (PMRC) par des femmes de politiciens américains (dont la femme de Al Gore) qui avait pour but d'inciter les professionnels de la musique (artistes, labels et radio) à combattre les « déviances » du rock et surtout le porn-rock. Les raisons de la colère de ces dames de Washington vis-à-vis du rock ? Obscénité, violence et dépravation morale15. La création de cette officine avait lieu dans une époque marquée par le retour du puritanisme aux USA. Aussi plusieurs maisons disques, soucieuses de voir leurs produits bien distribués, mirent en place des commissions de contrôle. « on s'aperçut que, plus les gouvernements se chargeaient du problème des disques outranciers, plus elles vérifiaient scrupuleusement les albums avant qu'ils ne soient sur le marché. Dès le mois d'avril 1986, soit six mois après l'accord entre la RIAA et le PMRC, CBS Records institua un règlement pour sélectionner les disques qui méritaient un sticker d'avertissement [...] Cette décision de CBS Records fit tâche d'huile puisque d'autres grandes maisons de disques adoptèrent la même attitude à l'égard des chansons aux paroles répréhensibles. RCA fut l'une de celles qui se donna pour mission de contrôler activement les disques de ses labels. »16
Pour contourner la censure, les polonais de Dezerter utilisèrent parfois une stratégie de harcellement : « Pas mal de textes sont quand même passés sur le troisième LP parce que Maciek n'arrêtait pas de donner des textes au censeur, si bien que finalement, il craquait ! »17 Cette ruse utilisée par les punks, Ioulia Zaretskaïa-Balsente l'aurait classé parmi ce qu'elle a appelé les « moyens totalitaires » de contrer la censure. Dans cette catégorie, elle a rangé le louvoiement face aux autorités, le patronage idéologique ou l'habileté à profiter des faiblesses du censeur. Ainsi, elle rapporte un exemple où le fait d'être le dernier de la journée à exposer son cas était systématiquement gage de réussite18. Autre méthode de contournement de la censure, celui effectué par les anarcho-punks polonais de Zielone zabki : l'abstinence. Eux affirment que : « nos idées sur ce sujet [ndlr : enregistrer un disque] diffèrent beaucoup des autres groupes polonais comme Maskwa [sic ! Il s'agit de Moskwa], Armia, etc., qui sont produits par les labels d'Etat : Tonpress, Pronit. Nous souhaitons vraiment faire un disque, mais nous n'avons aucune proposition, pour des raisons faciles à imaginer. Et d'un autre côté, nous n'avons pas la possibilité financière de réaliser une auto-production »19. Néanmoins, la première modalité d'évitement de la censure restait l'auto-censure. Par exemple, le rédacteur du fanzine hongrois Mely Vagas déplorait en 1989 n'avoir pas osé publier un article sur la situation critique du logement en Hongrie ni l'interview du groupe The Ex car elle évoquait trop « le concept de l'anarchisme »20. L'auto-censure a également été le résultat du travail de lobbying du PMRC : « Au début des années quatre-vingt-dix, l'attention que les grandes maisons de disques portaient aux paroles des chansons ne diminua pas. Bien au contraire, plusieurs majors mirent en place des commissions spéciales chargées d'éplucher tous les textes et les pochettes de disques. Certaines engagèrent même du personnel pour effectuer ce travail. [...] Toute chanson suspecte était alors réexaminée en commission formée de représentants de la distribution et du marketing [...] Plutôt que de recourir systématiquement au sticker d'avertissement, les maisons de disques préféraient, lorsque cela était possible, que les artistes s'auto-disciplinent (ou s'auto-censurent?) et qu'ils modifient quelques mots, ou même suppriment les chansons les plus offensantes. C'est ce qui se passa pour le groupe de rap Beastie Boys (appartenant au label de CBS, Def Jam) à qui l'on demanda de changer certains mots de leur chansons 'Hold It, Now Hold It' »21.
Si la censure préventive aux Etats-Unis et dans les pays soviétiques avaient des points communs, c'est en ce qui concerne la censure punitive que la différence se fait sentir car les services secrets étaient mis à contribution. Ainsi les membres de L'Attentat (RDA) déclaraient ne pas avoir voulu faire de zine car ils « risqueraient entre cinq et dix ans de prisons »22, Piotr de QQRYQ zine (Pologne) : « D'ailleurs ce n'est pas légal, et je suis passible de peines de prisons [sic] pouvant aller jusqu'à 2 ans », le rédacteur de Mély Vagas (Hongrie) : « un jour les [ici un mot est manquant. On peut néanmoins estimer qu'il s'agit de « flics »] m'ont téléphoné, disant qu'il fallait que je me présente à la préfecture immédiatement. Sur place, ils m'ont mis devant le nez un dossier assez épais dans lequel figuraient, entre autre, les 3 numéros de 'mély vagas'. Ils m'ont dit qu'ils savaient absolument tout, et qu'il était inutile de me défendre, sans pour autant m'informer sur la nature de mon 'crime' »23, ou Zona A (Tchécoslovaquie) dont le chanteur Konyk raconte qu'il était interpellé par la police secrète (cf Une vie pour rien ? n°7).

Notes :
1- Patrice HERR SANG, Vivre pas survivre, Paris, Les éditions du Yunnan, 2007, 105 p.
2- Ioulia ZARETSKAÏA-BALSENTE, Les intellectuels et la censure en URSS (1965-1985) De la vérité allégorique à l'érosion du système, L'Harmattan, 2000, p.269
3- Vivre pas survivre p.92-93
4- En ligne sur le site internet de la chaîne : http://www.arte.tv/fr/art-musique/track ... 80748.html émission diffusée le 24 mai 2007.
Des propos similaires peuvent être lus dans le zine Il fait froid chez nous n°4 : « Nous devons montrer nos textes, et souvent, après les inspections, les titres des chansons doivent être modifiés. [...] En général, il suffit de changer quelques mots et le titre. Ainsi le sens du texte n'est pas dénaturé, si ce n'est qu'il est transcrit au second degré ». Allant dans le même sens , cf le zine Apatride n°3, novembre 1989 et Les bruits défendus vol.2, juin 1990.
5- Il fait froid chez nous n°4.
6- On trouve des informations sur la censure culturelle en Pologne dans les numéros de Solidarnosc, Bulletin d'information, périodique dont une des rubriques intermitentes était intitulée « La culture et la censure », mais très peu portant sur le rock. Une exception étant constituée par le n°101 du 28 novembre 1984 avec quelques lignes sous le titre « le rock après août 1980 ».
7- No government, best of 1985-2000, 2002, p.131
8- No government, best of 1985-2000, 2002, p.134
9- Ioulia ZARETSKAÏA-BALSENTE, Les intellectuels et la censure en URSS (1965-1985) De la vérité allégorique à l'érosion du système, L'Harmattan, 2000, 401 p. Malheureusement, son livre évoque les institutions de la censure dans les 3 domaines du cinéma, de la littérature et du théâtre, mais pas de la musique, laquelle était peut-être associée au théâtre.
10- Всесоюзный Ленинский коммунистический союз молодёжи = Vsésoiouznyï Léninskiï Kommounistitcheskiï Soïouz Molodioji (VLKSM)
11- N°7 : Krokus, groupe de heavy metal suisse. Notons la facétieuse accusation de « culte de la personnalité » alors que la liste ci-dessus, datée du 10 janvier 1985, est contemporaine du retour à un communisme dur sous l'influence de Tchernenko.
12- Talking Heads : mythe de la menace militaire soviétique, Judas Priest : anticommunisme, Van Halen : propagande anticommuniste. Pink Floyd (n°19) fait partie de la liste pour la chanson datée de 1983, Get your filthy hands of my desert qui débute par ses mots : « Brezhnev took Afghanistan ». Brejnev a envoyé l'armée rouge en Afghanistan le 24 décembre 1979.
13- Black Sabbath, Nazareth.
14- Zine Une vie pour rien ? n°7
15- Pour plus de détail, voir la première partie du livre d'Anne BENETOLLO, Rock et politique. Censure, Opposition, Intégration, L'Harmattan, 1999, 278 p. Quelques artistes visés se retrouvent aussi dans la liste du Komsomol : Judas Priest, Kiss ou encore AC/DC. Certains motifs invoqués à charge aussi : sexe, violence et outrage à la morale religieuse.
La présence de stickers d'avertissement aux parents sur les disques est la marque la plus visible de l'auto-censure que le PMRC a réussi à imposer aux labels et artistes. Un simple gadget ? Pas si sûr puisque par exemple la grande chaîne de distribution Wal-Mart refusait de prendre dans se rayons des disques jugés immoraux.
16- Anne BENETOLLO, Rock et politique. Censure, Opposition, Intégration, pp.75-76
17- Zine Apatride n°3, novembre 1989.
18- Ioulia ZARETSKAÏA-BALSENTE, Les intellectuels et la censure en URSS (1965-1985) De la vérité allégorique à l'érosion du système, pp. 204-216. « un des moyens d'influencer la censure consistait à accepter certaines corrections » (p.209)
19- Courant alternatif n°95, avril 1990. p.26. Les groupes incriminés par Zielone zabki ne faisaient pas l'unanimité : Armia ne donnait que peu de concerts car le groupe demandait beaucoup d'argent. (cf interviews de Michal et Ola dans No government, best of 1985-2000, 2002, p.126-127)
20- Zine Il fait froid chez nous n°4.
21- Anne BENETOLLO, Rock et politique. Censure, Opposition, Intégration, pp. 77-78
22- No government, best of 1985-2000, 2002, p.131. Une difficulté de plus pour éditer un zine est l'accès aux photocopieuses comme le précisent les musiciens de L'Attentat (RDA) : « Il n'y a pas de photocopieuses à la disposition du public » ou eux de Zona A (Tchécoslovaquie) : « Il était impossible de faire des photocopies à l'époque, c'était interdit partout. Dans chaque entreprise, il y avait seulement une personne (membre du parti) qui pouvait faire des photocopies. Le pouvoir avait peur que les gens fassent des photocopies qui puissent lui nuire » (Cf zine Une vie pour rien ? N°7). Voir aussi, pour la situation hongroise, Miklos HARASZTI, L'artiste d'Etat. De la censure en pays socialiste, fayard, 1983 : « on interdit l'acquisition et la vente libre des ronéos et des machines à photocopier : dans les bureaux, elles sont placées sous la surveillance d'un contrôleur » (p.82) Précision utile, M. Haraszti défend la censure dans son livre.
23- Zine Il fait froid chez nous n°4. Le groupe punk hongrois CPg est réputé pour un passage en prison...

Nico37
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Re: Punk polonais histoire et actualité

Message par Nico37 » 12 janv. 2015 1:20


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