Norma Bates a écrit :abFab a écrit :Après j'avais commencé à écrire une explication... mais je ne tomberais pas dans le mansplaining
Ben, je t'interroge sur un aspect du texte qui me questionne, donc, je pense que ça n'a rien de condescendant, ni de "dominant", si tu m'apportes une explication, bien au contraire!
(Et de plus, de mon coté, je m'adresse à toi "de féministe à féministe", pas "de femme à homme"
).
Je vais essayer d'apporter quelques éléments, non pas de réflexion, mais d'analyse telles que j'ai pu les lire. Je ne donne pas mon avis, je porte celui qui a déjà été exprimée par des féministes à de nombreuses reprises.
Et comme le lectorat de ce forum est à 90% masculin, je ne déroge pas vraiment au point n8
Nous les hommes on ne peut pas comprendre, on ne peut pas ressentir l'urgence de la lutte d'émancipation des femmes. C'est un fait.
Moi, homme blanc, quand je vais bosser, c'est : douche, sous-vetements, jean, godasses, sweat, blouson, et trajet. Et pendant tout ce temps je pense à ce que je veux (mon principal souci étant de ne pas avoir de chaussettes dépareillées).
Un femme, c'est :
- maquillage (le maquillage n'est pas un choix dans le monde patriarcal... il est intégré, il peut être un plaisir, une corvée, mais les filles qui décident de ne pas se maquiller sont militantes, conscientes ou non, elles ont déconstruit l'injonction patriarcale et on fait ce choix de manière "éduquée"). Si t'es pas maquillée on te le fera remarquer, si t'es trop maquillée, on te le fera remarquer.
- s'habiller. Si ta jupe est trop courte on te traite de pute, si elle est trop longue on te le fera remarquer.
- Sortir de chez soi. La rue, de manière générale, n'est pas pour les filles. Dès que tu mets les pieds dans la rue, c'est le risque de harcèlement.
- Faire le trajet. 100% des filles ont été victime de harcèlement dans le métro.
- Le boulot. Faire la bise aux collègues. Si un seul collègue est un gros dégueu, ça peut te pourrir tout le trajet rien qu'à l'idée de devoir lui claquer la bise.
- Le collègue harceleur, celui qui fait des vannes pourries... les hommes subissent aussi des conditions de travail stressantes, mais les femmes subissent les mêmes, avec en plus les multiples configurations de harcèlement sexuel (20% des femmes en situation de harcèlement sexuel au boulot).
- la nuit qui tombe. La nuit n'est pas une alliée ! Traverser le parking, traverser telle ou telle rue mal éclairée. Du coup, de nombreuses femmes préfèrent quitter le boulot plus tôt, même si elles ont encore du taf. Contrairement aux collègues masculins, qui restent ainsi entre eux (et renforcent localement l’oppression patriarcale : c'est pas la fille, qui en plus ne fait pas d'heure sup qui profitera des diverses promotions).
- trajet du retour.
- Faire la bouffe (le travail domestique est encore en très grande partie assurée par les femmes. Et ce travail domestique est d'une importance capitale dans la pérennisation du patriarcat : il joue grosso modo le même rôle que la plus-value encaissée par le propriétaire sur le dos du prolétaire dans le cadre de l'exploitation capitaliste).
- donner du sexe (beaucoup de filles préfèrent donner du sexe pour calmer le compagnon plutôt que de subir les réflexions, récriminations etc... "Elle" avait même balancée un truc dégueulasse sur la pipe "ciment du couple", comme quoi il était normal de faire une gâterie à son homme pour fluidifier les relations au sein du couple... sous-entendu, si tu refuses de sucer faudra pas t'étonner si ton mec il se vénère).
J'arrête là. Mais c'est évident que pour nous les mecs, le féminisme c'est un passe-temps, alors que pour vous c'est un job à plein temps. Et que l'urgence de la lutte, on est incapable de la ressentir comme vous.
Donc, il n'y a pas égalité entre les hommes et les femmes sur les questions de féminisme. Ce n'est pas une question de sexe, c'est une question de classe.
Moi je ne dirais pas que c'est de l'énergie perdue, la discussion, ça porte toujours ses fruits, surtout quand des hommes cherchent à discuter, posent des questions, s'intéressent au féminisme.
Je vois bien ton côté optimiste... mais j'ai bien peur que ce soit faux. En tous cas les faits ne plaident pas vraiment en faveur de cette vision optimiste.
Prenons la non-mixité. La non-mixité c'est un concept relativement ancien, il a été importé par Delphy pour le MLF dans les années 70 (elle a importé la pratique en observant les black panthers, elle l'explique dans le documentaire qui lui est consacré)... et en 2016 il est impossible à des groupes de filles de faire des réunions non-mixtes à Nuit debout. Combien d'énergie, de temps de lutte, faudra(it)-il dépenser pour arriver à faire comprendre à ces gentils hommes que la non-mixité est un outil de lutte ? A ce rythme, plusieurs siècles. Et pendant ce temps perdu, la lutte elle-même ne s'organise pas, les femmes perdent leur énergie (qui est limitée par l'oppression systémique quotidienne on l'a vu), et finissent par se décourager de la lutte elle-même. Sans rien faire, juste en étant gentil et en cherchant à s'informer à discuter, encore et encore, l'homme finit par décourager la lutte des femmes. Le patriarcat tranquille, avec la bonne conscience en plus.
Mais la non-mixité, si elle est emblématique, n'est qu'une des multiples facettes. A l'heure actuelle alors que le féminisme et les théories féministes commencent à percer dans le milieu mainstream (il ya eu récemment des polémiques au niveau national sur la construction du genre, l'égalité des genres à l'école, etc), les milieux militants, dont on pourrait supposer qu'ils sont à l'avant-garde, sont toujours aussi sexistes et imperméables à toute avancée. On a pu voir un collectif Humungus dessiner une femme à poil sur une barricade au cours d'une soirée antifa ! Sas que ça ne dérange personne. Et pour cause, toutes les orgas, tous stands, tout est tenu par des mecs. Les meufs au bar et à la cantine.
En ce qui concerne les concerts, ils sont composés de groupes quasi exclusivement masculins. Si ça servait à quelque chose de discuter avec des féministes, les orga auraient compris comment on pousse des groupes de filles à monter sur scène. C'est pas du miracle, c'est de la construction des genres. (cite moi une seule orga qui mette en avant les groupes de filles, sans en faire un évènement particulier du style "girls quelquechose", une orga qui veille à équilibrer les soirées... y'en a pas une seule... quand une soirée se trouve "équilibrée" c'est le fruit du hasard, pas d'une volonté quelconque qui serait l'expression de la compréhension des théories féministes).
Autre exemple symptomatique. Aujourd'hui, en 2016, une orga peut venir à l'antenne d'un radio libre, passer un chanson violemment homophobe.. et continuer à être citée en exemple de groupe de jeunes engagés et militants qui se bougent sur paris. Les questions de genres sont la dernière roue du carrosse en milieu militant.
De nombreuses féministes en sont venues à la conclusion que le féminisme n'était qu'un passe-temps pour pouvoir choper des meufs. Ca peut faire marrer a priori, mais c'est pas du tout nouveau : Dworkin avait analysé le mouvement hippie sous cet angle (voir
ici, dans le chapitre 3 sur l'avortement).
Je mets ici un extrait de l'analyse du site "antisexisme" :
La grossesse était un frein à la baise pour ces hommes de gauche. Une femme enceinte pouvait plus facilement la refuser. Par ailleurs une femme avec un enfant, ça réduit aussi la baise : elle doit s’en occuper et ne peut pas être toujours disponible. Donc les hommes de gauche s’investirent dans la lutte pour l’IVG et la contraception.
Entre temps, les femmes de gauche se rendirent compte qu’elles avaient été baisées. Elle quittèrent les mouvements des hommes, la contre-culture et firent un mouvement bien à elles : le mouvement féministe.
C'est à rapprocher de ce que dit Sylvie Tissot ici (c'est à 25min35) :
https://youtu.be/2mZ-CuMLEXY?t=25m34s
Elle parle d'un sexisme "hallucinant" dans les milieux d'extrême-gauche et dit qu'elle a préféré partir pour des milieux non-mixtes.
Elle parle aussi du découragement de celles qui restent.
Et après le découragement, celles qui restent sont de plus en plus véner, et elles commencent à s'exprimer :
https://iaata.info/Allez-tous-vous-pend ... -1217.html
et là
http://salutcamaradesexiste.tumblr.com/
Mais vraiment, n'hésite pas à entrer en contact avec des féministes extérieure à notre milieu. La notion de sororité n'est pas un vain mot. Les féministes sont véners contre le patriarcat et toutes ses composantes mais elles se soutiennent de manière très forte. La sororité c'est la réponse à la solidarité de couilles.
La solidarité de couilles c'est une arme surpuissante qu'il est pratiquement impossible de briser frontalement. La solidarité de couille c'est le soutien impensé entre mecs pour exclure les perturbations féministes. C'est en général inconscient, c'est parfois par malveillance, parfois par lâcheté, mais le plus souvent par opportunisme. Entre un pote qui peut rendre service et une femme isolée, on choisira le camp du mec. C'est indolore pour les mecs, c'est ultra-violent pour les femmes.
C'est, par exemple, comme cela qu'Humungus peut fresquer des femmes nues au milieu d'antifa sans déclencher le moindre début de polémique.
C'est, par exemple, en ne propageant pas une information que l'on va circonscrire un feu : alors que curieusement la reformation des ludwig a mis quelques heures à se propager sur les internets, le fait que certains groupes chantent des chansons homophobes, que des assos les soutiennent et diffusent leur zique, cette info elle ne circule pas (#lahierarchiedelinfo) (de la même manière on pourra suivre quasi en temps réel la circulation de l'information sur la fresque Humungus... pour l'instant c'est zéro, il parait qu'elle a été likée plein de fois sur le fb de chester mais les orga de la soirée ne semblent pas s'en émouvoir).
C'est comme cela que même en milieu militant, une agression ou un viol sera toujours minimisé, que le victim blaming sera toujours un réflexe (coucou nuit debout). Quand l'opportunisme de couille rejoint la culture du viol...
Et malgré des dizaines, des centaines d'heures d'explications, again and again... on en est toujours là.
Dernier point et après je ferme ma goule promis...
Mais oui, je comprends tout-à-fait, on a besoin de temps, juste entre femmes. C'est évident. Mais (ben oui, y a ENCORE un mais
), le point que je trouve plus dangereux, c'est, celui qui réduirait les individu-e-s à leur sexe en leur imposant de ne pas chercher à comprendre quand il y a exclusion.
En leur imposant de chercher à comprendre, justement !
Mais à comprendre par eux-même parce que les explications sont à portées de main. Du temps passé à rabâcher des explications c'est du temps perdu. Soit le mec se sent concerné et il ira chercher, il s'éduquera lui-même... soit il ne se sent pas vraiment concerné et il te fera perdre ton temps (et le temps perdu pour la lutte, c'est du temps gagné par le patriarcat).
Si un mec veut savoir comment fonctionne un moteur quatre-temps il va pas aller demander des cours au garagiste du coin, il saura très bien se débrouiller tout seul pour comprendre. Si le garagiste doit filer des cours de mécanique à chaque individu.e qui passe dans l'atelier, ta bagnole est pas sortie du garage !
En gros pour simplifier, si nous les mecs, on veut vraiment voir une émancipation féministe, il faut qu'on arrête de vous faire chier