"Que gagnons-nous à travailler?"

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Jul
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"Que gagnons-nous à travailler?"

Message par Jul » 12 juin 2007 12:57

Sujet du baccaleuréat Série ES (économique et social) 2007: «Que gagnons-nous à travailler ?»

Note: je suis assez en accord avec la thèse et la conclusion, forcément bien moins avec l'antithèse -surtout dans sa formulation-... Mais le but d'un tel discours est-il de tomber d'accord?
Libé a écrit :Par François Dagognet, 83 ans, professeur émérite à Paris-I. Dernier ouvrage: Philosophie du transfert, éd Encre marine.

Le mot «travailler» contient déjà une réponse à la question posée, puisque ce verbe vient du latin tripaliare («torturer» avec le tripalium), et lui-même reprend le tripalium, instrument de torture. Le travail dans le récit de l’Ancien Testament est tenu pour une punition: dans le paradis, Adam et Eve ne connaissaient pas cette malédiction. Mais ils furent condamnés, du fait de leur désobéissance. Les philosophes grecs en général emboîtèrent ce pas: Platon, dans la République, ne ménage pas les artisans, les agriculteurs, tous ceux qui sont astreints à des occupations matérielles. On a souvent distingué trois groupes dans les sociétés (laborare, pugnare, orare): au sage sont réservés le loisir, la contemplation, la réflexion. Nuance: les Romains appelaient opus le travail effectué, opera l’activité même et labor le travail douloureux.

Nous ne voyons pas ce qu’on gagne à travailler, d’autant que le monde moderne, loin de s’opposer à l’aliénation comme à la misère du travail, a contribué à sa servitude. Nous ne pouvons pas ne pas en appeler à Marx ­ l’un des premiers à théoriser l’envers du travail. La division des tâches, valorisée par Ricardo et surtout Adam Smith, a disloqué la manufacture. L’ouvrier est enfermé dans le parcellaire (cent ouvriers, fixés, chacun d’entre eux, à la répétition d’un seul geste, fabriquent mieux que les cent ouvriers devant fabriquer séparément ces objets). En raison de cette dégradation, la femme ne tardera pas à remplacer l’homme dans la fabrique, et bientôt les enfants. Le salaire, qui aurait pu récompenser l’activité productive, est réduit à seulement entretenir l’existence de l’exploité. Souvent, l’ouvrier est encore exposé aux pires dangers. Rien n’est prévu pour sa sécurité. Aussi est-il surprenant que nous soit demandé ce qu’on peut gagner, là où le travailleur perd sa santé et la qualité de son existence. Il est exploité et ne reçoit rien en échange. Il nous sera opposé que le monde actuel de l’usine a modifié et corrigé les excès du capitalisme: en réalité, le machinisme souverain et les lois du marché (produire de plus en plus) ont encore abaissé le travail.

Si nous ne retirons rien à ce réquisitoire, il nous faut cependant reconnaître un côté moins sombre au travail ­ un autre aspect que le langage a d’ailleurs reconnu (Hannah Arendt reprend la distinction aristotélicienne entre poïesis et praxis). Bien des vocabulaires ont admis l’écart: de là work et labour en anglais, Arbeit et Werk en allemand. Pour le philosophe, le travail consiste à organiser et sauver le monde dans lequel nous vivons: le simple paysage que nous regardons exprime moins une nature exubérante que le zèle, la compétence des paysans qui l’ont aménagé. Il n’est rien que nous ne devions au travail, l’habileté et au savoir-faire de celui qui l’a fabriqué. A travailler, nous ne devenons rien de moins que «maîtres et possesseurs de la nature». Sans cette humanisation des énergies naturelles, nous serions tous condamnés à vivre dans le manque et même le pire. D’ailleurs, n’importe quelle marchandise ne vaut que selon la quantité et aussi la qualité de travail qu’elle a supposées. Argument de moindre poids ­ les pays qui regorgent de matières premières ont été dans l’histoire moins florissants que ceux qui en étaient dépourvus, car ceux-ci furent obligés au labeur de la suppléance.

Le travail ne se borne pas à guérir notre monde de son désordre, de ses déficits et de sa violence; il sauve l’homme lui-même. D’abord, le travail (et même quand il s’agit d’une occupation souhaitée, source de satisfactions) ne va pas sans des règles et des obligations. On entre au bureau, par exemple, à telle heure, tous les jours ouvrables. Ce n’est jamais le laisser-aller, ni le laisser-faire. Par là même, l’employé est soumis à une discipline dont on voit le caractère formateur. Le désoeuvré, le chômeur de longue durée entre dans une sorte de dépression dangereuse et obligée, parce que tout travail élève celui qui s’y livre et le transforme. C’est le «faire» qui enrichit l’être. Mais ne faut-il pas admettre des occupations salariées peu valorisantes? C’est ce que nous contestons. Le moindre cantonnier, chargé de l’entretien des routes, des chemins et des talus, non seulement travaille à l’appropriation de notre monde, mais lui-même, dans sa profession, doit obéir à de justes règles et se plier à une méthode porteuse de résultat.

En dépit de son côté noir, nous avons souligné l’indispensabilité du travail, ainsi que sa puissance humanisante. Certains soutiennent actuellement la «fin du travail», puisque les robots demain remplaceront les ouvriers. On insiste beaucoup sur ce changement, mais n’est-il pas une façon de ruser de disqualifier le travail? Il faudra toujours compter sur ceux qui réparent ou ceux qui commercialisent les engins automatisés. Mais la plaie du chômage? Nous nous demandons si elle n’est pas habilement entretenue afin de disqualifier encore le travail, décidément mal reçu depuis le début de l’humanité (tu travailleras à la sueur de ton front). C’est pourquoi nous préférons aussi à la formule «Travailler plus pour gagner plus» celle-ci: «Que tous puissent travailler sans qu’ils doivent gagner moins.»
Ils sont parmi nous, nous sommes parmi eux...

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Message par Anomalia » 12 juin 2007 14:48

Rien de très nouveau, Marx condamne un seul type de travail, celui de l'ouvrier : il est aliénant, l'homme s'encroûte dans des mécanismes répétitifs et ne met pas en oeuvre un projet personnel... il ne peut donc pas se réaliser dans son travail.

J'aurais bien aimé tomber sur ce sujet moi.
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Message par Asylum » 12 juin 2007 16:01

Marx condamne un seul type de travail, celui de l'ouvrier
Que veux tu donc dire par là ? Quels sont les types de travail qu'il juge meilleur ?

Moi j'avais eu "N'avons-nous de devoirs qu'envers autrui ?" j'avais parlé de la planète et qu'envers soi, non. J'ai eu 9.
"Nous considérons les fins inséparables des moyens, parce que les méthodes de lutte laissent déjà entrevoir la vie pour laquelle nous nous battons".

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Message par Anomalia » 12 juin 2007 16:18

Bah, Marx considère que l'homme peut très bien se "réaliser" dans son travail en développant ses compétences... et en mettant en oeuvre un projet dont il a "conscience" en quelque sorte. (J'sais pas trop comment l'exprimer...)

Là, l'ouvrier ne voit même pas le produit fini donc difficile de travailler en ayant conscience de son utilité. Et il ne met pas vraiment en oeuvre ses compétences. J'me répète.
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Re: "Que gagnons-nous à travailler?"

Message par bub » 12 juin 2007 16:27

je suis pas du tout d'accord avec l'antithese qui est d'un autoritarisme ecoeurant
Libé a écrit :A travailler, nous ne devenons rien de moins que «maîtres et possesseurs de la nature».
n'est-il pas, et le discours sur la decroissance peut mourir de sa belle mort grace à monsieur le philosophe
Libé a écrit : Par là même, l’employé est soumis à une discipline dont on voit le caractère formateur.
discipline, fierté, honneur, sang, famille, patrie, travail - ah tiens !-
bravo la réthorique...

je pense qu'une distinction entre travail et activité poductrice aurait été particulièrement efficace, parce que la caractéristique du travail, meme s'il n'est pas salarié, est qu'il envahit le quotidien pour nous aliener.
Ensuite une lecture assidue des ouvrages sur la fin du travail aurait été bien pratique au lieu de parler de ce qu'on ne connait pas.

7/20 monsieur le philosophe pour ce devoir qui manque cruellement de maturité, meme si quelques bons arguments ont été soulevé
;)

Moloko

Message par Moloko » 12 juin 2007 17:30

bub a écrit :je pense qu'une distinction entre travail et activité poductrice aurait été particulièrement efficace, parce que la caractéristique du travail, meme s'il n'est pas salarié, est qu'il envahit le quotidien pour nous aliener.
Ensuite une lecture assidue des ouvrages sur la fin du travail aurait été bien pratique au lieu de parler de ce qu'on ne connait pas.
Je pense que je suis d'accord avec toi sur aucune des deux phrases.

J'dis "Je pense" parce que je sais pas trop ce que tu penses des livres sur "la fin du travail". Quand il parle de ces théories-là, il parle des théories comme celle de Dominique Méda par exemple, qui sont de la merde pure : la place du travail dans nos sociétés diminue parce que, si avant le travail permettait bien la socialisation, aujourd'hui c'est les associations et les loisirs qui le font le mieux, et c'est le bonheur... Ou selon les auteurs, c'est ce qui justifie qu'on doive remettre le travail au coeur de la société !

Ensuite, ta distinction travail / activité productrice me paraît un peu foireuse. C'est justement parce que le travail n'est plus qu'une activité productrice qu'il n'a aucun intérêt et qu'il est aliénant blablabla. On peut très bien définir le travail comme une activité créative et, dans ce cas, dire que le travail comme activité productrice n'est pas du travail... Après je dis ça, je sais pas trop si j'y crois : je préfère opposer le travail au Jeu (de Bob Black). Mais c'est ce que j'ai mis en introduction de ma copie hier (puisque j'ai justement passé ce bac ES, et que j'ai pris ce sujet), et ça empêche pas que je pense que travail et activité productrice sont exactement la même chose, actuellement.

Bref, j'ai pas envie de refaire ma copie là, tout de suite 8-)

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Message par melvin » 12 juin 2007 17:46

Asylum a écrit :Moi j'avais eu "N'avons-nous de devoirs qu'envers autrui ?" j'avais parlé de la planète et qu'envers soi, non. J'ai eu 9.
Moi j'avais eu du pot ! "Le rôle de l'Etat est il de faire regner la justice ?"
j'avais eu 14 ! 8-)
Hey, professor! I recognize these teeth. This is Felipe Ocanya. He knew the jungle as well as I do

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Message par Webster » 12 juin 2007 18:02

Et moi je suis tombé sur "Le dialogue est-il le chemin de la liberté?", j'ai cité (entre autres) Matrix et j'ai eu 17.
XPluperfectX
Section U.S du groupe
XPlus-que-parfaitX

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Message par ladytoxine » 12 juin 2007 19:21

Moloko a écrit : Bref, j'ai pas envie de refaire ma copie là, tout de suite 8-)
feignasse !


http://www.dailymotion.com/visited/sear ... re-al-pais
Mais quel Pied Charmant !

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Message par bub » 13 juin 2007 10:39

Moloko a écrit :Quand il parle de ces théories-là, il parle des théories comme celle de Dominique Méda par exemple, qui sont de la merde pure : la place du travail dans nos sociétés diminue parce que, si avant le travail permettait bien la socialisation, aujourd'hui c'est les associations et les loisirs qui le font le mieux, et c'est le bonheur...
c'est dommage parce que Dominique Meda a de bonnes idées sur la fin du travail que ce soit dans son livre ou dans "Travail, une révolution à venir" (entretien avec J. Schor) donc déjà ca m'invite à me méfier de tes jugements à l'emporte pièce.
Si tu relis la copie du philosophe, il dit :"Certains soutiennent actuellement la «fin du travail», puisque les robots demain remplaceront les ouvriers. On insiste beaucoup sur ce changement, mais n’est-il pas une façon de ruser de disqualifier le travail?"
Donc il parle probablement des "ruses" anticapitalistes sur la fin du travail genre Meda, Lafargue ou Black, mais sait-il ce que raconte ces infames cocos...
Enfin, l'idée de "permettre la socialisation" me semble une approche assez debectable de socio qui consiste à réduire la socièté à un modèle facilement maitrisable... Alors que ce soit l'avantage ou le détriment du travail, c'est un argument qui ne me touche que peu...
Moloko a écrit :C'est justement parce que le travail n'est plus qu'une activité productrice qu'il n'a aucun intérêt et qu'il est aliénant blablabla. On peut très bien définir le travail comme une activité créative et, dans ce cas, dire que le travail comme activité productrice n'est pas du travail... Après je dis ça, je sais pas trop si j'y crois : je préfère opposer le travail au Jeu (de Bob Black).
c'est donc un problème de définition du travail, une fois cette entente préalable accomplie, on pourra peut-etre se comprendre ;)
Ensuite une activité productrice est nécessaire vu que son interet reside dans ta propre survie : manger, boire, te loger. Ce n'est donc pas le cote aliénant du travail.

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