Maisons d'édition sur la musique

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ratcharge
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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par ratcharge » 05 févr. 2023 19:22

Bon j'en rajoute une couche, c'est dimanche, vous inquiétez pas demain j'aurai du taff.

Par rapport à ce que j'ai écris au-dessus, juste pour clarifier un point : quand je dis "Et quand, en plus, c'est même pas fait dans le but de faire manger qui que ce soit, (...) j'arrive plus à voir ça autrement qu'un hobby un peu chelou", je parle exclusivement de faire de la vente par correspondance, hein. Qu'on doive le faire, par la force des choses, pour que circulent tels ou tels objets, des couches-culottes aux vinyles ou aux livres, ça bien sûr je peux capter. Mais qu'on prétende que c'est "politique" ou "radical" juste parce qu'on n'en tire pas un rond, ça me semble très tiré par les cheveux, et pas justifié par grand-chose d'autre qu'une sorte de folklore anarcho-punk, hérité d'une époque où une lutte digne de ce nom était menée entre labels de disques DIY et majors. Depuis une vingtaine d'années, avec Soulseek et le piratage en général, ça me semble quand même beaucoup moins pertinent, et en tous cas pas spécialement radical, de s'acharner à faire tourner les usines de vinyles, à faire des cartons et à aller à la Poste jour après jour, tout ça pour que des gens puissent écouter des riffs de guitare électrique et des paroles scandées sur leur platine avec un super son hi-fi. Attention, hein, je n'ai rien contre vous, amis collectionneurs de vinyles – moi-même je collectionne les livres, mais juste, ça me semblerait farfelu de prétendre que ça a quoi que ce soit de politique.

Et puis surtout, je suis là dans mon canap' à cuver ma gueule de bois et à cogiter à tout ça, et je me dis, putain, tout ça me rappelle quelque chose... Et d'un coup, ça me frappe : au début des années 2000, pendant quelques années, j'ai beaucoup lu et pensé à ce que tu écrivais, Christophe, que ce soit sur des forums internet (en particulier le "Forum de l'Ennui", tu te rappelles?) ou en correspondant avec toi. Forcément, j'avais une dizaine d'années de moins que toi, j'étais jeune, je découvrais un peu tout ce bordel, etc. Bref, tout ça pour dire qu'à l'époque, déjà, tu râlais sur les mêmes trucs qu'aujourd'hui : les "rockeurs" qui avaient "gentrifié ton punk", le fait que c'était mieux avant, etc. Perso j'ai jamais capté de qui tu parlais exactement (De groupes de la scène DIY? De groupes à la Epitaph ou Fat records? Des Bérus ou autres groupes reformés? Des intermittents du spectacle? De Blink 182? Le plus honnêtement du monde, j'en sais toujours rien). Mais là où je veux en venir, c'est que quasi 20 ans plus tard, t'es toujours là à distribuer des vinyles de punk. Donc, de deux choses l'une : soit les groupes que tu distribues te semblent coller à ta vision du punk, ce qui serait carrément rassurant (je viens de jeter un œil à ta liste, chouette sélection) ; soit tu distribues ces mêmes groupes "gentrificateurs", auquel cas ce serait aussi triste qu'incompréhensible. Enfin bref, tout ça pour dire que ce qui m'a frappé à l'instant, là dans mon canapé, c'est que si la scène punk est aussi "gentrifiée" et donc pourrie et pas intéressante que tu le dis, pourquoi continuer à lui consacrer autant de temps? Je veux dire, y a pas mieux à faire dans ton coin? Y a pas un groupe de Gilets Jaunes à rejoindre, un squat ou un infoshop auquel filer un coup de main, un supermarché à piller, des murs sur lesquels peindre des slogans à la bombe, un jardin ouvrier à entretenir, des tracts à distribuer ou que sais-je encore?

Voilà voilà, je crois que c'est tout pour cette fois.

bub
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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par bub » 06 févr. 2023 12:03

Au delà des styles de vie de chacun-e, oui il y a gentrification, c'est un phénomène lié à l'hypertechnologisation de la socièté.
- je triche, je viens de finir le bouquin Homo confort https://www.lechappee.org/collections/p ... mo-confort -
On parle d'embourgeoisement où tu te salis pas les mains dans les lieux alternatifs et le disque est à portée d'un click sur internet et notre ami Christophe, par exemple, va oeuvrer pour répondre avec un carton et aller livrer à la poste. C'est un peu comme sur Amazon quant tu réalises pas le nombre de prolos qui assure toute la chaîne de livraison (non tout n'est pas robotisé sur Amazon). C'est le confort de la technologie et je comprends que Christophe rechigne à cette gentrification du punk, parce qu'il n'aimerait pas être traité comme un maillon de la chaîne de distribution par une communauté qui perd sa propre essence.
De la même manière, la technologie permet de faire des produits manufacturés, beaux à moindre effort, dans un circuit édition-distribution bien rodé avec des des livres mais aussi des fanzines à code barre (!). Dans le même temps, je viens de finir aussi "Le monde merveilleux d'Amazon" Mediapart et La Revue Dessinée avec un beau dessin d'Ivan Brun en couverture. Il y avait un "éditeur" interrogé qui expliquait qu'une des manière de contrer l'hégémonie d'Amazon, c'était de supprimer les codes barres. Plus de codes barres, plus de tracage, plus d'Amazon. Bah ouais, les codes barres, c'est la gentrification du punk.
Alors, lutter contre l'hypertechnologisation de la société et la gentrification du punk à coup de messages sur les forums, c'est sûrement pas le bon moyen. Punxforum est en lui-même un produit de la gentrification punk. Ca facilite les contacts avec une technique hyper chiadée à coup de cable internet, de satellites et de machines pleines de silicium et de gallium, construites et gérées par des salarié-es. Trop punk.
En même temps, le fait d'avoir ce débat est déjà pas mal sain. Je note que j'ai trouvé des bijous de livres sans codes barres (mais hyper dur à trouver) et que je continue à lire des livres libertaires et émancipateurs qui possède chacun son code barre. Si je devais lire que des livres sans code barre, je passerai pas l'année...
J'imagine même plus une large diffusion d'un bouquin sans code barre et sans internet... Heureusement que je recois régulièrement la lettre d'info de Trauma Social par la poste ! Respect Zéric !

ChristOff
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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par ChristOff » 06 févr. 2023 14:18

Alex, bon déjà cool et merci beaucoup de quitter ce ton indéchiffrable pour moi et fait d'accusations à demi-mot ou j'sais pas quoi.

Après, que tu trouves cette discussion sans intérêt de ton point de vue, mais moi ça me va hein. Où que toi tu places les enjeux politiques ailleurs, pareil, je pige, ça me va. Mais bon je pense que dans ce cas, c'est peut-être juste plus tranquille de le dire en termes simples plutôt que balancer des trucs en mode mi-cynique mi-provoc', pas forcément déchiffrables, et alimenter une discut' qui ne peut que mener à rien, si ce n'est le stress et la frustration.

Bon, je sais pas si ma réponse va être particulièrement intéressante, mais déjà au moins je trouve enfin de la matière pour piger les points de désaccord entre nous, et je trouve ça cool aussi qu'enfin tu articules des trucs autour desquels on peut discuter. Je pense que pour la première fois je pige la différence de perspective entre nous.

Y a beaucoup de trucs, et j'aimerai tout couvrir, mais je sais que j'écris des trucs trop longs et souvent indigestes, je vais essayer de garder ça raisonnablement court...

1) Sur le fait que ça fait en gros 20 piges que je râle... Je suis sans doutes un éternel "insatisfait". Je dirais que je ne saurais jamais me contenter d'un monde de promesses de changements, d'un monde qui "mets en scène" une radicalité sur laquelle il ne semble pas être en mesure d'apporter de vraies réflexions de fond. Je suis pas plus malin ou plus sensible que la moyenne, mais moi ces promesses qu'on gueule dans la zik ou via le militantisme, je pense que soit on les prends au sérieux (ce qui veut pas dire être de tristes sir et faire disparaitre le fun de nos relations), et ça veut dire qu'on a réfléchis à la possibilité de les mettre en application, qu'on a réfléchis à ce que ça implique, sur nos capacités réelles de porter les coups qu'on prétends vouloir porter, etc..., soit c'est autre chose, quelque chose qui s'apparente à de la tradition et du discours. Et là, c'est le moment où une communauté va se retrouver face à la tentation du "spectaculaire", baisser sa garde et laisser la norme se ré-infiltrer. Et dieu sait que la norme retrouve vite ses droits, non ? J'imagine que chaque nouveau mouvement, scène, groupe affinitaire, est porté au départ par des utopies, des envies de changements structurels profonds, et que, à côté des points politiques, ces volontés de troubler la norme sociale font toujours un peu parti de leurs ADN. J'imagine que ça se discute et je le présente pas comme une vérité absolue, mais il me semble que le punk, en tout cas la frange dont on semble être ok pour parler ici, il revendique ce lien fort politique-personnel. Il se revendique comme un lieu où se construisent des idées et des volontés politiques, mais aussi des bouleversements des normes et des rapports sociaux. Il revendique de tenter d'amener les individus vers des changements, afin que nos existences soient en adéquation avec nos revendications et nos rêves. Puis, la routine s'installe, c'est inévitable sans doute, et je suis persuadé que le retour à la normal peut venir méga vite si on est pas collectivement vigilent, et à plus forte raison quand la norme dominante du monde contre lequel on veut se battre est en vrai un véritable rouleau compresseur, capable d'assimiler et de normaliser tout en un claquement de doigt, et surtout capable de produire ce truc contre lequel c'est archi-dure de se battre : le confort et le plaisir. Aucuns projets révolutionnaires, aucun mode de vie alternatif ne peut résister aux assauts quotidiens de la norme capitaliste marchande sans se remettre en permanence en question. Des réus, des discuts régulières, des confrontations entre nos discours et nos réalités, pour moi c'est ça les seules façons de garder en tête nos utopies et faire le point sur ce qui marche et sur ce qui doit être reconfiguré. Donc moi, ce moment où on promet un truc et qu'en fait on ne consacre plus aucune énergie à le mettre en action, ça m'a toujours fait bader, dans le punk comme dans les milieux radicaux. C'est pas tant qu'on se retrouve face à des impasses, ça c'est inévitables, nan, c'est juste qu'on se contente des slogans et qu'on fasse plus gaffe à la portée de ce qu'on promet. J'ai ce souvenir boulversant pour moi d'une journée d'action à Lanemezan, où on gueulait qu'on allait détruire toutes les prisons. Et puis la journée s'est achevée, et pour caricaturer le truc, bé on a laissé les gens derrière leurs barreaux, on a été boire un apéro, on a fait notre débriefing auto-satisfaits, et puis on est rentré chez nous. Je dis pas que tout ça c'est de la merde ou qu'il faut plus rien faire, je pense juste qu'on devrait réfléchir aussi parfois à la portée de tout ce qu'on prétends vouloir accomplir. C'est pas l'impasse militante qui me fait peur, je pense qu'elle est indépassable. Donc je parle pas de "perfection" dans nos pratiques, mais de l'idée qu'on prenne au minimum les choses aux sérieux, qu'on garde la gnak pour continuer d'y réfléchir et ne rien tenir pour acquis, quitte à revoir à la baisse nos slogans si y a des trucs qu'on changés ou qu'on arrive plus à tenir. Une scène, une communauté politique qui continue de prétendre vouloir troubler l'ordre capitaliste et les normes sociales mais qui en fait n'y consacre aucune réflexion et aucune énergie et se repose sur des vieux slogans qui sont plus en adéquation avec sa réalité, bah ouais, moi ça me semble problématique. Je critique pas le renoncement, ou le changement. Mais si on renonce ou qu'on change, faut juste être honnête et en fait, juste le dire, non ?

Bon, bref, du coup, tous les éléments qui ont toujours amener les punk à prendre tout à la légère, ça m'a toujours saoulé. Moi je pense que la radicalité n'a d'intérêt que si on y croit et qu'on sait qu'on va pouvoir en déployer un bout. Donc, peut-être c'est pas clair, et j'ai dit que j'allais essayer de faire court, mais cette zone de friction permanente entre la réalité de ce à quoi on croit et qu'on essaie de vivre ET la tradition musicale (les vieux groupes qu'on doit vénérer, les modes qu'on doit accepter comme "normales" et qu'on se doit de reproduire sans poser de questions), c'est l'endroit où toute ma frustration se nourrit, surtout que la "camp" de la tradition, ça marchera toujours plus facilement hein, c'est plus séduisant et funky et à l'image de ce que la société du spectacle veut de nous. Et oui, ça fait bien 20 ans que cette frustration existe. Je pense que dans cette zone de friction, se développe le pire de ce qu'on est capables de faire en tant que mouvement (simplification de tout, disparition de l'envie de mettre des mots sur ce qu'on vie, esprit de la fête, de la consommation et de la facilité qui prend le pas sur tout), et là c'est toujours les plus malins qui vont tirer la couverture à eux et monopoliser l'espace et profiter de ce monde un peu moins stable pour nourrir leurs passions troubles (faire du biz mais sans le dire vraiment, chercher la gloire, ou j'sais pas quoi)... J'pense pas être "exigent". Juste, je pense que si on fait des déclarations de principes, qu'on les rends publics, à un moment faut que ça se voit que c'est pas juste des bons mots. Mais dire ça, c'est pas mépriser ceux/celles qui y arrivent pas, ou qui se lassent, ou qui sont paumés ou même qui en ont tout simplement plus envi. Moi, je suis partisans depuis des années d'arrêter avec tous ces slogans qui nous épuisent et nous mettent face à trop d'impasses. Ouais, ça claque les slogans, je pige le délire. Mais ça finit toujours par nous bouffer la vie et surtout, je pense qu'à un moment, le décalage nous ramène dans la vraie vie de force, parce que intellectuellement, les grand écarts, c'est pas vivable très longtemps.

Articuler cette frustration avec les restes réels de passion et d'enthousiasme est un exercice pas toujours simple. Je sais que discuter de tout à aussi des limites et peut devenir contre-productif et stressant... Mais ne plus discuter de rien et laisser à la place le vide du folklore, ça me terrifie. Alors aujourd'hui comme il y a 20 ans, j'ai tellement envie qu'on puisse se parler, faire le point, être honnêtes les un-e-s avec les autres. Que ça soit au moins clair que si on décrit un monde cauchemardesque qu'on veut détruire, un monde fait de normes sociales, de chefs, de traditions, d'injustices, alors qu'on se pose toujours des questions pour faire en sorte de pas laisser tout ça devenir notre norme à nous et un no mans land qui nous tire vers le bas. Et pire, une norme qui continue à brandir des slogans par habitude. Oui, j'ai envie que si on gueule "more than music" alors ça soit la vérité, et donc qu'on se retrouve pas dans des équations caricaturales où tout le monde va aimer juste 5 groupes et deux labels à la mode et basta (+ 15 groupes lé-gen-daaaaires et "incontournables" des années 80). Mais dès qu'on y croit à ça, que le punk c'est plus que de la zik, alors c'est un long chemin, et on s'en prend un peu plein la tronche aussi hein (parce qu'on est vite "sectaire" et "élitiste" quand on tente de pas laisser le punk se reposer sur ses lauriers, et même si on avance sans trop d'arrogance et de certitudes, on sera de toutes façons toujours pris à parti sur la base des éternels même contre-feux)...

Dans mon implication dans la scène punk, comme dans les milieux anars, j'ai toujours été au début dans les groupes un peu "dominants" (mec blanc, entreprenant et enthousiaste = on prend vite de la place, sans le vouloir et sans y réfléchir), mais j'ai aussi rapidement été une sorte de personne tampon avec les groupes de gens qui galéraient, parce que jamais considérés ni par le punks cools et les anars cools. parce qu'en galère émotionnelles, parce que venant d'endroit moins privilégiés, parce que sans la culture de la "grande gueule"... Et là aussi, ça m'a permis de mesurer les dégâts fait par des endroits qui par leurs prétentions "radicales" attirent à eux des populations fragiles et différentes qui espères enfin trouver un lieu safe et adapté, mais qui se retrouve face à des groupes hermétiques de potes qui parlent que de xxxx (insérer ici le groupe "culte" et de bon goût du moment ou le/la théoricen-ne radical-e du moment). Qui ne parle que de vinyles couleurs. Ou de riot-porn et d'émeutes vue sur Youtube.

Les phénomènes de banalisation, de trivialisation, de dépolitisation, pour moi, ça amène toujours à revenir au status quo de la normalité, les winners gagnent toujours et réquisitionnent tout, l'espace, le prestige, les récompenses, l'attention, l'affection, tout ça sur le dos des autres, qui eux/elles galères et finissent par se barrer. Et un truc que je pense c'est que plus on laisse les espaces se pacifier, redevenir conformes au status quo, plus on fini entre winners et moins y a d'espace pour la différence, pour la curiosité et la transgression. C'est forcément un peu caricatural, mais c'est grosso modo dans tout ça que je mets depuis 20 piges en vrac tous les phénomènes qui me saoulent et que je pense, si on y croyait vraiment qu'il était possible/souhaitable de vivre collectivement en foutant durablement et solidement en l'air les règles de la société dominante, on en aurait tous et toutes pour priorité absolue la destruction.

Bon dieu, c'est long, je sais même pas si j'ai réussi à définir l'objet de mes tentatives de mettre ça au centre de nos préoccupations. Après, sans doute que le ton négatif pour décrire ça, ça marche pas. C'est une impasse qui a fait que au début des années 2000, j'ai arrêté de m'exprimer sur tout ça. (la suite dans le poste suivant)

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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par ChristOff » 06 févr. 2023 14:29

2) Sur l'ISBN, le salariat, les "maisons d'édition", etc : bé dans la continuité de mon charabia au-dessus, je pense que ce sont là des chimères, des petits bruits de fond qui viennent nous susurrer "mais nan, c'est pas bien grave, ça va rien changer à la nature de ton discours, et ça va te faciliter la vie... accepte nous !!!!". C'est des objets de renoncement qui se présentent toujours sous le forme d'un truc rationnel et opérationnel, neutre et sans conséquences autres que nous rendre la vie plus simple et nous ouvrir au monde. Bon, ça se discute, moi en tout cas, sur la neutralité, j'ai de gros doutes. Je pense que chaque garde-fou qu'on fait sauter entraine une série de réactions en chaine, ne serait-ce que sur la perception globale que nous et le reste du monde allons nous faire de ce qui est possible ou pas. Plus on fait "comme les grands capitalistes", moins on laisse de la place pour imaginer autre chose, non ? Alors, sans doutes que dans un premier temps, c'est de l'ordre du symbolique. Mais oui, je pense que chaque porte qu'on avait fermée - et on avait nos raisons légitimes pour ça, on les avait pas fermé par hasard hein - la ré-ouvrire c'est pas neutre. Ça veut pas dire qu'on est contraint à ne rien changer dans nos pratique à vie et qu'on à zéro adaptabilité, non, mais ça veut dire je crois que c'est pas aux capitalistes de nous offrir les hypothétiques outils de ces changements. Pour moi, la réussite du punk DIY c'est d'avoir placé le politique aussi sur un autre terrain, où soudain la façon dont on faisait/exprimait le politique devenait tout autant un message politique que le message lui-même. En gros dire "pfff, les capitalistes ils nous font chier avec leurs objets manufacturés standardisés, produits uniquement pour générer profit, sur lesquels ils font des marges de bâtards, et en plus avec ces marges, ils financent, renforcent et maintiennent en vie leur système, leurs flics, leurs armées, leurs élites et leurs grands bourgeois" (je fais ça à la louche et avec un peu d'autodérision hein), et à partir de là, franchir l'étape suivante qui aura été de dire : "C'EST politique non seulement de produire des objets culturels radicaux pour observer, décrire ce monde et nous encourager à résister contre lui avec du contenu "subversifs", mais ça l'est ENCORE PLUS si en plus de produire ces bidules, on allait redéfinir NOUS et NOUS SEULS les modes de "productions", de diffusion de tout ça". Ce lien il est devenu d'autant plus important qu'en fait dans les années 80-90, cette "stratégie" à vraiment fait ses preuves je pense et je pense qu'objectivement, elle a ouvert des espaces politiques gigantesques qui ont impactés en profondeur les modèles militants de l'époque. C'était pas punko-centré tout ça je crois. Ce que ça veut dire, c'est que ça a marché. On a sorti nos disques et nos bouquins des mains et du contrôle des bâtards contre lesquels on gueulait. Symboliquement, mais quelle victoire, non ? Quelles perspectives dans le quotidien de tous les petits révoltés et de toutes les petites révoltées, non ? C'est une crédibilité qui pour moi placera toujours l'objet culturel punk ailleurs et lui confèrera une puissance symbolique, une cohérence objective qui le placera à 10000 kilomètres au-dessus du reste. Parce que là entre nos mains, on a la preuve que le capitalisme n'est pas tout puissant, omniscient, incontournable. On a la preuve que sa rationalité c'est autant du flan que le reste : ça marche que parce qu'on y croit, mais dès qu'on va prendre un peu des chemins de traverse, en vrai, ça nous demande que dalle de faire "aussi bien", voir mieux que eux.

Tu me dis que c'est plus si important aujourd'hui, que cette cohérence nous ralentie ou nous englue dans quelque choses (c'est pas tes mots hein, mais ce que j'en ai vaguement compris, donc corrige moi si je suis à côté). Bref, je sais pas comment tu le définis mais tu sembles dire que ça vaut plus le coup de s'encombrer avec tout ça. Enfin, tu le dis et en même temps tu le dis pas, parce que quand tu parles de la Luttine, tu places toujours ça comme étant des bases incontournables, non ?

Bon, bah en plus, franchement, c'est juste des outils de standardisation, de classement, de référencement, si on doit prendre des risques pour diffuser plus massivement nos idées (je dis pas que je crois nécessairement en ça hein, mais admettons), il me semble que ça ça change rien à la donne, puisque la preuve est encore faite aujourd'hui - et toi-même tu le confirmes - que faire des bouquins "autonomes" qui se diffusent très bien c'est pas un soucis. Même en libraire conventionnelle ils pourront y trouver une place, si compter qu'on fasse l'effort d'y aller, et que le/la libraire trouve le bidule intéressant (ou vendable, plus pragmatiquement). Donc en vrai, à quoi bon se faire chier avec leurs bidules, mettre en péril toute une façon de faire ? Puisque les deux marchent pareils, à quoi bon redonner un peu de pouvoir symbolique au capitalistes et à leur culture dominante ?

Montrer qu'on peut faire les choses "autrement", et que cet "autrement" c'est pas juste une version auto-entreprenariale ou pseudo artisanale de la version capitaliste, pour moi ça a du sens. Et marquer notre cohérence, sans mépris, sans arrogance, mais là où il existe déjà un terrain historique, des réseaux établis, ça coûte rien. Et à l'inverse, le symbole de l'ISBN me semble justement tellement symboliser une forme de renoncement sophistiqué où on accepte que l'état "valide" notre taf, mais sans que ça soit vraiment obligatoire... ça me semble être une forme d'auto-flicage de nous même. Les capitalistes n'ont même plus à nous imposer des trucs, on les fait spontanément.

La salariat, c'est un terrain trop complexe pour en parler rapidos ici, surtout après déjà la tartine qui précède... Les thunes, c'est une réalité, indépassable malheureusement. Moi, je pense que le salariat (et j'y inclus l'auto-entreprenariat, même si objectivement, c'est plus facile pour nous de nous y caser et pour trouver des solutions pour vivre, je le nie pas) c'est la valeur centrale autour de laquelle tout l'édifice du capitalisme est construit, donc, je pense que tenter humblement, sans jugements à l'emporte pièce, de subvertir cet édifice, c'est primordial. Mais bon, je m'étends pas sur le sujet, je sais que c'est pas de la tarte et même souvent un casse-tête. Je dirais juste que là encore les punks et les militants des années 70-80-90 avaient défini des pistes chouettes : mutualisation, solidarité, squat... Je prétends pas que ça réponds à toutes nos réalités, et jamais je mettrai des gens qui cherchent juste des thunes pour bouffer et vivre un peu face à ça avec mépris "genre, pffff, t'es une merde, faut refuser le salariat"... Mais bon, là encore, pour moi, je kiffe encore de montrer que c'est possible (j'ai au compteur quasi 30 piges de "non-salariat"). J'aime aussi l'idée "décroissante" que j'associe à ça : être "contraint" à moins consommer, ça me va tout ça fait et détruire nos habitudes d'achats compulsifs, tout ça, moi je me sens bien là-dedans, mais je l'érige pas en règle d'or hein. Juste c'est une piste qui faut pas non plus totalement invisibiliser, non ? Donnons aussi parfois pas l'impression que là encore il existe qu'un chemin, monolithique, indiscutable. Soyons prudents, soyons respectueux des choix (ou obligations en vrai) de tout l'monde, mais ne fermons pas la porte direct à l'idée que oui, on peut vivre sans être salarié. Bref.

"Maison d'édition" = l'équivalent livresque des labels ? Moi je pense pas. D'abord, tout le monde hiérarchise et place le bouquin sur un piédestal et forcément au sommet de la pyramide des objets subversifs. C'est forcément pluuus mieux de lire. Alors, ça fait 15-20 ans que moi j'assiste, médusé, et sans en piger les articulations, à ce truc magique où les punks continuent à exiger des pratiques irréprochables pour les skeuds, mais que pour les bouquins, aloooors là, nan, pas pareil, on a le droit à toutes les contradictions. Donc une "maison d'édition", ça porte rien en soit qui indiquerait des pratiques différentes et contre culturelles. Ça peut être le cas hein, je dis pas, mais si tu places le mot dans une converstaion, les gens auront massivement en tête un bureau, des salariés, un diffuseur, un chef/patron/manageur, un carnet de chèque, et plein d'imaginaires qu'on a pour le moment pas "libérés" de l'imagerie capitaliste, productiviste et marchande il me semble. Donc, je pense pas que ce mot soit neutre, et je pense qu'il ramène systématiquement à un processus de production et de diffusion que l'on sait tous et toutes totalement conformes aux exigences du "marché". Le label DIY a une histoire derrière lui. Je pense que si dans une soirée punk/militante tu causes d'un label, personne n'imaginera autre chose qu'un label au minimum "indé". Mais si dans la même conversation tu places le mot "maison d'édition", ça sera pas les mêmes images qui se feront dans nos têtes. Y a qu'à voir ce fil de discussion, comment y a aucuns doutes sur la portée que tout le monde a mis dans le terme, non ?


3) pour finir, "quel est l'intérêt de faire une liste de distrib' punk aujourd'hui"... Bon, bah déjà, moi j'ai pas la culture et la fascination du bouquin. Y a pas UN bouquin qui a bouleversé ma vie, m'a fait changé ou je sais pas quoi. C'est comme ça, je dis pas c'est "mieux" ou rien, mais moi c'est la musique punk qui a toujours été mon chemin pour me tirer vers le haut. Peut-être tu diras que c'est triste, j'en sais rien. Des bouquins j'en ai lu hein, mais à chaque fois, souvent je trouvais que tel ou tel groupe punk disait exactement la même, sans l'emphase, sans la pose littéraire, sans les chichis académiques. Bref, j'ai pas la culture du bouquin. Autre facteur, j'ai commencé la distro en 1991. Bon, bin tu peux surement pas t'imaginer ce que l'imaginaire autour du "courrier" peut représenter pour des gens de ma génération. J'ai eu internet en 1997. Et puis pas de magasins ni de concerts à l'époque. Donc, on faisait comment ? Bah on achetait à droite à gauche par courrier. J'ai commencé à avoir des correspondant partout, et le midi était mon heure préférée de la journée car c'était le moment ou le facteur passait... Donc, cet imaginaire là, je pige qu'il soit pas super intéressant pour plein de gens aujourd'hui, mais moi déjà, il m'a marqué en profondeur, et donc, bah il nourrit mon acceptation de certaines contradictions liées aujourd'hui à ce format. Mais bon, je pige pas trop comment tu places ce curseur qui fait qu'un objet culturel punk/radical n'a de valeur que s'il est vendu en main propre. C'est mystérieux la mystique de la "vraie vie" comment tu la vends. La vraie vie, on la connait aussi, c'est pas bisounours-land. Oui, des moments de rencontre sont précieux, indiscutablement, mais la "vraie vie" c'est aussi des moments de solitude où t'es derrière ton bac et les gens sont au bar. J'ai été "bénévole" dans une librairie anar pendant de nombreuses années, honnêtement, j'ai pas le souvenir de moments politiques, humains ou j'sais pas quoi renversants. Des bons moment surement, mais en vrai, j'ai correspondu par courrier à des niveaux de communication ou d'enthousiasme tout aussi stimulants. Moi j'ai jamais pigé ce fantasme "IRL". Je fais pas l'apologie des rapports distanciés. Je dis juste , je hiérarchise pas forcément. Donc, bref, le mailorder moi ça me va. Le seul truc sur les envoies qui je pense va commencer à poser problème, ce sont les impactes écologiques massifs. Mais là, en vrai, vinyles, bouquins, sacs à main, consoles de jeux... honnêtement, la vraie question, c'est la surconsommation. Ce qui va poser problème selon moi, c'est la nécessité de continuer à produire toujours plus de bidules. Les vinyles sont pas plus à blâmer que les bouquins sur ce terrain, non ?...

Bon j'arrête là, désolé c'est long et chiant... j'imagine bien que ça va rebuter tout l'monde...

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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par ratcharge » 06 févr. 2023 15:12

Content aussi de voir que le ton baisse un peu, et si on peut arriver à échanger un minimum, c'est sûr que c'est pas plus mal. Même si perso, j'ai rarement vu grand-chose de bon sortir de discussions publiques sur Internet, et que j'ai donc tendance depuis une dizaine d'années à les éviter, ou alors à essayer d'y rigoler un minimum. Bref, j'aurai un énooorme paquet de trucs à répondre si on parlait de tout ça autour d'une table, j'aurai des tonnes de points de désaccords qui ne seraient ni "gratos" ni "provoc", mais juste pour dire que, autant j'aimerai le faire là tout de suite dans ce fil de discussion, autant je suis vraiment pas sûr de trouver ne serait-ce qu'une heure à y consacrer dans les deux prochains mois. Je pars de France un mois à partir de mi-février (pour la première fois en plus de dix ans!), j'aurai pas un seul moment devant un ordi pendant cette période, et avant ça, j'ai une trad' de bouquin en cours (sur la Révolution Cubaine et l'OSPAAAL – L'Organisation de la solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, je précise parce que je trouve le sujet assez passionnant), les manifs où aller, les zines à assembler et massicoter, les divers bidouilles à gérer à l'infoshop, etc. Donc voilà, si jamais je trouve pas le temps de répondre, ce sera pas parce que je botte en touche, mais parce que ce sera malheureusement impossible pour moi. Après, si la discussion est toujours en cours début avril, je reviendrai peut-être y mettre mon grain de sel.
Modifié en dernier par ratcharge le 08 févr. 2023 14:35, modifié 1 fois.

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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par Chéri-Bibi » 06 févr. 2023 16:00

bub a écrit :
06 févr. 2023 12:03
De la même manière, la technologie permet de faire des produits manufacturés, beaux à moindre effort, dans un circuit édition-distribution bien rodé avec des des livres mais aussi des fanzines à code barre (!).

Il y avait un "éditeur" interrogé qui expliquait qu'une des manière de contrer l'hégémonie d'Amazon, c'était de supprimer les codes barres. Plus de codes barres, plus de tracage, plus d'Amazon. Bah ouais, les codes barres, c'est la gentrification du punk.

J'imagine même plus une large diffusion d'un bouquin sans code barre et sans internet...
Hum, je ne voudrais pas m'inscrire totalement en faux sur ce qui est dit tout au long de ces pages, et particulièrement ci-dessus, mais voilà : depuis deux n°, je fais moi-même un "fanzine à code barre (!)"...
De plus, depuis deux n°, j'ai un n° d'ISBN. Et un n° ISSN depuis 2007 et mon premier dépôt légal à la BNF (avant j'indiquais "Dépôt illégal" et l'envoyais juste à la Fanzino de Poitiers).
Et effectivement, dès que tu as un n° d'ISBN, Amazon te référence. Or Amazon ne peut vendre ta production que si toi ou quelqu'un lui fournit. Comme je bosse depuis 2020 (soit les deux derniers n°) avec un diffuseur qui refuse, comme moi, de fournir Amazon, les seuls ChériBibi susceptibles de se retrouver dans leurs filets sont ceux vendus via Amazon par des libraires aimant se tirer une balle dans le pied... Triste.
M'enfin, concentrons-nous sur le code barre.

Depuis 2007, après 15 ans de photocopies voire de sérigraphie à la main, je suis passé à l'offset car je visais un tirage beaucoup plus important que les 300 ou 400 ex. produits jusque là (2000 ex. voire 3000 pour les n°6 à 9). Et pour les ceusses qu'ont connu l'ancienne formule du ChériBibi avec tous ses pliages débiles (jusqu'à 3 livrets et 6 agraphes pour le n014 en 2004), vous pigerez facile que plier 2000 ex confine au fordisme effrené. Du coup, pour l'offset, à moins d'avoir les moyens de faire des films au banc de repro (ou de scanner chaque page, ce qui aurait pu être jouable), il ne m'étais plus possible de faire une maquette à la main comme avant. De fait, l'évolution de la pratique du graphisme a été totalement chamboulée par le tout-informatique, ce qui est déplorable en cela que ça restreint forcément le champ visuel -donc l'imaginaire- à la seule surface de l'écran (donc cela joue sur le rapport du corps avec le travail)...

Bref, le code-barre...

En 2009-2010, j'avais bossé comme représentant pour le diffuseur / distributeur Court-circuit, qui avait au catalogue une brouette d'éditeurs libertaires des plus estimables. De l'indexation des commandes aux ventes, tout passait par ce fameux code-barre.
De mon côté, je continuais de diffuser / distribuer mon zine grâce à un petit réseau de camarades, ce qui demandait énormément (énormément) de boulot et occasionnait de multiples pertes (plus de nouvelles des dépôts ou des dépositaires donc des bons de dépôt). Le passage à un diffuseur était exclu vu la commission en vigueur de 60% environ (qui comprend les 35 à 40% des libraires, les frais d'envoi et la paie des travailleurs).
Or du côté des envois, La Poste augmentant ses taros de manière exponentielle et pour tout dire indécente (yu know what I mean do ya ?), en 2020 on s'est résolu à confier à Hobo (monté par un ancien collègue de Court-Circuit, également derrière les éditions Nada) notre diffusion en librairie (uniquement, c'est-à-dire qu'on continue à faire tout le reste : disquaires, VPC, infokiosks, tatoueurs, etc.). De fait, sur un tirage de 2000 ex., on en confie 600 au distributeur. Et ces 600 doivent avoir un code barre sinon les libraires gueulent et le distributeur est pas jouasse non plus.
Bon, étant donné que le n°11 avait une couv' et 4e de couv' brodée par ma soeur, j'ai préféré payer 150 ou 200 ballesde plus à l'imprimeur pour qu'il colle 600 étiquettes avec ce fameux code barre.
Par contre, pour le n°12, l'opération étiquettes rallongeant les délais de livraison, les frais, le boulot de l'imprimeur et je sais plus quoi, on m'a expressément fait comprendre qu'il valait mieux arrêter de couper les tifs en quatre, donc intégrer un code barre au PDF donc au graphisme des 2000 ex...

J'ai beaucoup hésité. Clairement ça me faisait (et ça me fait toujours) chier. Pour ma génération, le code barre est clairement un symbole de l'aliénation marchande, du "tout est un produit", du marquage limite concentrationnaire...
Durant plusieurs mois, tergiversant, j'ai demandé leur avis à pas mal de camarades, du métier (éditeurs, libraires, labels...) ou non.
Il apparaît que, pour les plus jeunes, le code barre a perdu de cette signification. C'est un outil "pratique", comme le QR Code. Bref, personne ne semble plus sérieusement y attacher l'importance et la signification négative que ces quelques barres revêtent pour des types comme moi ou ChristOff, gravitant autour de la cinquantaine dont les deux bons tiers d'activisme ultra-gauchiste ou assimilé (je te connais pas ChristOff, du moins je crois pas, mais c'est ce qu'il me semble avoir pigé).
Bref, mettre et donc avoir un code barre sur mon fanzine, j'ai décidé de m'en foutre même si j'y arrive pas tout à fait (à m'en foutre) et que ça me fait beaucoup plus chier qu'il n'y paraît. Ne serait-ce que parce qu'il faut que j'en tienne compte dans ma conception de la 4e de couv' ! En cela, oui, ces "impératifs commerciaux" ont des conséquences bridant la créativité !

Pour autant, est-ce que ça fait du ChériBibi un zine "vendu" au Capital ? Peut-être pour les fombs bigleux ne sachant pas le différencier d'un Gonzaï ou autre merde de mook "hype"... Mais au vu des retours de lectrices et lecteurs, ça doit pas être la majorité du genre.
Ensuite, le code barre participe-t-il à la "gentrification du punk" ? J'en sais rien, je suis skin. Et je t'invite cordialement, Bub, à venir boire une bière (ou du vin ou du thé ou du jus de tomate) dans ma cité pour constater à quel point c'est gentrifié... :lol:

On peut aussi parler des tarifs de vente aux gens cher, du rapport à l'impression (faire tout soi-même ou le donner à photocopier/imprimer/sérigraphier, et dans ce cas venir assister au processus ou se contenter de réceptionner sa commande comme un bon client...), du rapport au collectif, au droit d'auteur, au copyright, au travail bénévole et militant ou rémunéré d'une manière ou d'une autre, à l'exigence qualitative ou au laisser-aller "parce que c'est déjà sympa d'avoir filé un dessin ou un article", à la consommation ou non de produits animaux / d'alcool / de stupéfiants / de tabac / de médicament lors de la conception, et si celle-ci est d'ordre artistique ou artisanale ; sur l'utilisation ou non de logiciels libres, d'images et typos libres de droit ou "empruntés", etc.
Je pourrais énumérer encore longtemps les sujets de débat, et tant mieux. Car oui, il y a de nombreuses manières de faire. Parfois antinomiques, souvent complémentaires. Le tout étant d'avoir conscience des implications de ses choix. Et de les assumer.
Et vu que je suis un "vieux con" so XXe siècle, le code-barre j'ai du mal quand même (OK boomer) :lol: :mur:

EDIT : Ah merde, étant au boulot donc interrompu tout le temps, j'en étais resté à la dernière intervention de Bub... Du coup je vais rattraper les pavetons de ChristOff et d'Alex (d'ailleurs t'as pas répondu à ma réponse à ton mail rapport à Stew'...).
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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par Nhuman punk » 06 févr. 2023 17:40

content que le ton soit redescendu hehe
où commencer? Je crois qu'il me faudrait vlà le temps pour tout assimiler et donner un point de vue global... Mais bon pour faire vite, il y a pas mal de pratiques qui me gonflent dans la scène "punk" au sens large hein, mais vraiment si on regarde ce qui se passe en france c'est pas si mal nan? J'ai envie d'avoir de l'espoir en ce moment alors bon :lol:
Je sais pas quand on regarde toulouse par exemple, y'a des chouettes dynamiques, le kiosque, la chapelle, plein de squats, des groupes qui attirent la jeunesse vénèr comme krav boca ou throlz, plein de choses... De lille à brest, en passant par lyon, sainté, marseille, grenoble, bordeaux, nantes, rennes... Y'a quand même des lieux autonomes, anars, féministes, révolutionnaires, qui persistent à exister et essayer de créer une alternative à ce monde de merde... pour le punk je sais pas quand on regarde les concerts d'arak-AIM à paris par exemple ça a l'air remplis de jeunes, qui n'ont pas l'air là juste pour consommer, après oui ça se passe dans des lieux parfois type bar qui me plaisent pas vraiment, c'est aussi une scène vachement connectée aux réseaux sociaux (je dis ça le punx forum c'est mon réseau social haha) ce qui m'emmerde en tant que punk boomer un peu anti-tech mais j'y vois du positif quand même?... Je suis parfois vraiment en colère avec cette scène parce que comme toi christophe le punk j'y tiens énormément parce que ça été et constitue un refuge pour moi dans la vie quand ça allait pas, mais juste j'essaye de voir ce qui fonctionne, après ça empêche pas le débat et l'autocritique comme des bon vieux maoistes :lol:

Et puis oui c'est différent une maison d'édition et un label punk diy, ça pas de soucis, mais en vrai, sur ton mailorder y'a des trucs dischord, y'a bien des codes barres là dessus nan? (c'est pas pour titiller hein!) Moi aussi ça m'arrive de vendre des livres à code barre dans ma distro hein, on a tous et toutes des contradictions faut juste essayer de dealer avec et le monde atroce qui nous entoure, quand on part en tournée on va pas se leurrer, on renverse pas le capital à coup de riff punk, on met du gasoil, on prend un péage de temps en temps (merci vinci), mais on entretient aussi des relations avec des gens et lieux chouettes... bref j'ai l'impression que ça s'auto-flagelle un peu trop là...

ah oui les pratiques qui me gonflent: facebook (je sais je sais...), insta, la porosité avec une scène apo bleu blanc rouge parce que ils sont sympas et pas nazis, les reprises et tshirts de groupes fafs, les mondanités, la non solidarité entre groupes ou juste entre gens qui composent cette "scène" que tu sois derrière une guitare ou que t'es un verre à la main, les prix exorbitants, les labels qui échangent plus... j'arrête là

Et puis on souhaite bonne chance à viandintox dans sa recherche quand même hein!

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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par ratcharge » 06 févr. 2023 18:41

Nhuman punk a écrit :
06 févr. 2023 17:40
Et puis on souhaite bonne chance à viandintox dans sa recherche quand même hein!
C'est effectivement la moindre des choses. Et si y a moyen de te filer des contacts ou autres, t'hésite pas hein Viandintox, je sais pas si on se connaît ou quoi, mais le projet a l'air chouette.

Et j'en profite pour vous copier-coller un mini extrait d'une interview que je suis en train de traduire pour un zine. Ça parle de la scène anarcho-punk actuelle de Milan, et en particulier des CSO (Centre Sociaux Occupés) où ont lieu les concerts ainsi que des tonnes d'autres activités, permanences d'entraide, repas, etc. À un moment, ça cause d'embrouilles entre CSO, et de degrés de compromissions, et ça dit ce qui suit :
Entre 2012 et 2021, il y avait un squat peu orthodoxe et très beau qui s’appelait Macao. Par rapport aux autres squats, il était très moderne, très orienté art, et bénéficiait de l’un des plus beaux bâtiments qu’on puisse squatter : un gigantesque ex-abattoir avec un immense hall entouré d’un balcon qui ressemblait à une salle de bal du XIXe siècle. Lors d’une Fashion Week à Milan, ils ont loué l’espace à une grosse marque pour un défilé de mode. Je ne connais pas les détails, mais je sais que ça a donné lieu à des débats houleux dans la communauté des squatteurs. Sauf que ce que Macao a fait, c’est qu’ils ont pris la coquette somme qu’ils ont reçue pour louer leur espace et l’ont donnée au HDP, le mouvement antifasciste pro-kurde qui combattait la répression du gouvernement turc à l’époque. Puis, le jour du défilé, à l’insu de la marque et de tout le monde, ils ont déroulé une énorme banderole qui couvrait la moitié de la façade du bâtiment et disait : « La Fashion Week de Milan soutient la résistance contre le gouvernement fasciste d’Erdogan. » Ça a été un sacré coup de théâtre.
Voilà, on en pense ce qu'on veut, mais je trouve que ça illustre pas mal de problématiques, et la façon dont les choses sont rarement toutes noires ou toutes blanches.

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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par Chéri-Bibi » 07 févr. 2023 0:37

ChristOff a écrit :
06 févr. 2023 14:29
2) Sur l'ISBN, le salariat, les "maisons d'édition", etc : bé dans la continuité de mon charabia au-dessus, je pense que ce sont là des chimères, des petits bruits de fond qui viennent nous susurrer "mais nan, c'est pas bien grave, ça va rien changer à la nature de ton discours, et ça va te faciliter la vie... accepte nous !!!!". C'est des objets de renoncement qui se présentent toujours sous le forme d'un truc rationnel et opérationnel, neutre et sans conséquences autres que nous rendre la vie plus simple et nous ouvrir au monde. Bon, ça se discute, moi en tout cas, sur la neutralité, j'ai de gros doutes. Je pense que chaque garde-fou qu'on fait sauter entraine une série de réactions en chaine, ne serait-ce que sur la perception globale que nous et le reste du monde allons nous faire de ce qui est possible ou pas. Plus on fait "comme les grands capitalistes", moins on laisse de la place pour imaginer autre chose, non ? Alors, sans doutes que dans un premier temps, c'est de l'ordre du symbolique. Mais oui, je pense que chaque porte qu'on avait fermée - et on avait nos raisons légitimes pour ça, on les avait pas fermé par hasard hein - la ré-ouvrire c'est pas neutre. Ça veut pas dire qu'on est contraint à ne rien changer dans nos pratique à vie et qu'on à zéro adaptabilité, non, mais ça veut dire je crois que c'est pas aux capitalistes de nous offrir les hypothétiques outils de ces changements. Pour moi, la réussite du punk DIY c'est d'avoir placé le politique aussi sur un autre terrain, où soudain la façon dont on faisait/exprimait le politique devenait tout autant un message politique que le message lui-même. En gros dire "pfff, les capitalistes ils nous font chier avec leurs objets manufacturés standardisés, produits uniquement pour générer profit, sur lesquels ils font des marges de bâtards, et en plus avec ces marges, ils financent, renforcent et maintiennent en vie leur système, leurs flics, leurs armées, leurs élites et leurs grands bourgeois" (je fais ça à la louche et avec un peu d'autodérision hein), et à partir de là, franchir l'étape suivante qui aura été de dire : "C'EST politique non seulement de produire des objets culturels radicaux pour observer, décrire ce monde et nous encourager à résister contre lui avec du contenu "subversifs", mais ça l'est ENCORE PLUS si en plus de produire ces bidules, on allait redéfinir NOUS et NOUS SEULS les modes de "productions", de diffusion de tout ça". Ce lien il est devenu d'autant plus important qu'en fait dans les années 80-90, cette "stratégie" à vraiment fait ses preuves je pense et je pense qu'objectivement, elle a ouvert des espaces politiques gigantesques qui ont impactés en profondeur les modèles militants de l'époque. C'était pas punko-centré tout ça je crois. Ce que ça veut dire, c'est que ça a marché. On a sorti nos disques et nos bouquins des mains et du contrôle des bâtards contre lesquels on gueulait. Symboliquement, mais quelle victoire, non ? Quelles perspectives dans le quotidien de tous les petits révoltés et de toutes les petites révoltées, non ? C'est une crédibilité qui pour moi placera toujours l'objet culturel punk ailleurs et lui confèrera une puissance symbolique, une cohérence objective qui le placera à 10000 kilomètres au-dessus du reste. Parce que là entre nos mains, on a la preuve que le capitalisme n'est pas tout puissant, omniscient, incontournable. On a la preuve que sa rationalité c'est autant du flan que le reste : ça marche que parce qu'on y croit, mais dès qu'on va prendre un peu des chemins de traverse, en vrai, ça nous demande que dalle de faire "aussi bien", voir mieux que eux.

Bon, bah en plus, franchement, c'est juste des outils de standardisation, de classement, de référencement, si on doit prendre des risques pour diffuser plus massivement nos idées (je dis pas que je crois nécessairement en ça hein, mais admettons), il me semble que ça ça change rien à la donne, puisque la preuve est encore faite aujourd'hui - et toi-même tu le confirmes - que faire des bouquins "autonomes" qui se diffusent très bien c'est pas un soucis. Même en libraire conventionnelle ils pourront y trouver une place, si compter qu'on fasse l'effort d'y aller, et que le/la libraire trouve le bidule intéressant (ou vendable, plus pragmatiquement). Donc en vrai, à quoi bon se faire chier avec leurs bidules, mettre en péril toute une façon de faire ? Puisque les deux marchent pareils, à quoi bon redonner un peu de pouvoir symbolique au capitalistes et à leur culture dominante ?

Montrer qu'on peut faire les choses "autrement", et que cet "autrement" c'est pas juste une version auto-entreprenariale ou pseudo artisanale de la version capitaliste, pour moi ça a du sens. Et marquer notre cohérence, sans mépris, sans arrogance, mais là où il existe déjà un terrain historique, des réseaux établis, ça coûte rien. Et à l'inverse, le symbole de l'ISBN me semble justement tellement symboliser une forme de renoncement sophistiqué où on accepte que l'état "valide" notre taf, mais sans que ça soit vraiment obligatoire... ça me semble être une forme d'auto-flicage de nous même. Les capitalistes n'ont même plus à nous imposer des trucs, on les fait spontanément.

Bon j'arrête là, désolé c'est long et chiant... j'imagine bien que ça va rebuter tout l'monde...
Non c'est pas long et chiant (pas plus qu'un bouquin ;) ) mais, désolé, j'ai un peu coupé dans la masse (salariale ?) pour garder ce qui m'a le plus botté et ce sur quoi j'voulais rebondir.
Bon, déjà, tu l'as dit toi-même, l'ISBN c'est juste un outil de référencement inventé pour simplifier le boulot des ceusses qui l'utilisent... et le traçage des productions puisque les chiffres sont aussi parlants que ton n° de sécu. Est-ce une affreuse connerie à la Big Brother ? J'en sais rien à vrai dire. Après tout, la comparaison tombe plutôt bien puisqu'autant la Sécurité sociale est un conquis des luttes de notre classe (si tant est qu'on vient de la même) sur lequel pas un "punk super radical" se permettrait de cracher, autant notre n° de sécu est une forme de fichage.
Oui ça gratte de devoir demander un ISBN (qui est, désolé de te l'apprendre, rendu obligatoire par la loi, tout comme le dépôt légal), ou plutôt une liste de n° ISBN (puisque t'en change à chaque production). Perso, j'ai eu affaire à un type tout sauf sympa qui m'a fait mariner plus que nécessaire.
Oui ça pique d'affubler sa belle couv' d'un code barre (qui, lui, n'est pas obligatoire... mais son absence peut être réellement handicapante. A contrario, j'ai résisté aux sirènes de Facebook "qui boosterait de ouf la visibilité du ChériBibi" dixit pas mal de monde semble-t-il).
Mais l'essentielle, comme tu l'as très bien dit, n'est-il pas de faire mieux que les capitalos en terme de contenu, de contenant, de sens ?

Effectivement, dans un système où tenter de faire du collectif c'est déjà nager à contre-courant, c'est sûrement une forme de renonciation partielle que de ne pas fabriquer nous-même notre papier, nos outils, notre garde-manger (total respect aux jardiniers bio décroissants mais mézigue je crèche dans 40 m2 sans balcon ni jardin alors mon circuit court c'est à Carrefour...). C'est pas nouveau ces compromissions, petites ou grandes. On s'en accommode tous à différentes échelles parce que, déjà, on est pas hors du monde même quand on en conchie sa logique, et on peut pas être sur tous les fronts sauf à s'épuiser recta ou se planquer dans une secte soi-disant auto-suffisante à la radicalité auto-centrée consistant à chier sur le reste de l'humanité comme le petit bourgeois qu'on est resté même après s'être "évadé" de chez papa-maman dans le XVIe arrondissement (il faudra un jour évoquer la présence polluante des bourges soi-disant "en rupture de ban" dans les milieux dits libertaires -mais c'est un autre débat ?).
Pis t'as tout dit avec cette phrase :
"C'EST politique non seulement de produire des objets culturels radicaux pour observer, décrire ce monde et nous encourager à résister contre lui avec du contenu "subversifs", mais ça l'est ENCORE PLUS si en plus de produire ces bidules, on allait redéfinir NOUS et NOUS SEULS les modes de "productions", de diffusion de tout ça".
On peut redéfinir -il faut redéfinir- nos modes de production, de diffusion. Par exemple, faire et retranscrire une interview de manière différente de la presse commerciale ; décider d'un prix de vente qui tienne moins compte d'un quelconque "équilibre économique" que des moyens de ceux et celles à qui on s'adresse ; faire mission de service public plutôt que de vouloir être "rentable" ; ne pas employer les termes du commerce ("clients", "produit", "décalé", "doux-amer", etc.) ; écrire un article en pensant que des gens forcément différents de soi le liront et qu'il s'agit qu'ils/elles ne se sentent pas exclus (à moins que leur exclusion soit volontaire, on va pas écrire pour les connards non plus merde !) ; offrir sa production si on a envie de l'offrir sans se prendre la tête avec le fait que ça va nous mettre dedans ; considérer une chose offerte comme une marque de fraternité et non pas comme une preuve que cela n'aurait pas de réelle valeur... Ne pas baser son existence sur du putain de papier monnaie ! Échanger, partager, et ne pas oublier de prendre son pied ! Parce qu'on ne s'occupe pas d'objets mais de sujets. Non ?
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Re: Maisons d'édition sur la musique

Message par blacksquare » 07 févr. 2023 5:23

Salut,

Au départ, je ne voulais pas écrire de message pour répondre à cet échange, mais c’est plus fort que moi, cela fait plusieurs jours que vos messages respectifs me trottent dans la tête, je dirai même qu’ils tournent en boucle dans mon esprit (merci pour les insomnies de ces deux dernières nuits), et le seul moyen de me libérer de cette boucle infernale est, pour moi, d’écrire ces quelques lignes qui suivent…

Tout d’abord, je souhaitais dire qu’entre le triple LP d’Amanda Woodward et « Raccourci vers nulle part » de Ratcharge, si ma tête voit la différence, mon cœur ne fait pas de différence. J’aime autant l’un que l’autre, et je refuse catégoriquement de vouloir instituer des préférences ou une quelconque hiérarchie entre les deux. De la même manière, je tenais à dire que si, comme Manu, je trouve votre échange de messages respectifs relativement intéressant dans la mesure où c’est assez stimulant pour l’esprit, dans le même temps, mon cœur est assez meurtri par le manque de bienveillance de part et d’autre (désolé, c’est mon côté emo qui ressort). Chacun s’est sûrement senti agressé par le message de l’autre, c’est une évidence, mais être ami, je pense que c’est être capable de dire les choses même si elles ne sont pas forcément toujours agréables à entendre, mais que, dans tous les cas, c’est aussi faire preuve d’un minimum de bienveillance et d’empathie pour l’autre. Cette discussion semble finir par s’apaiser et c’est tant mieux.

Ensuite, pour rentrer dans le vif du sujet, et pour être tout à fait honnête, je ne suis qu’à moitié étonner par ce qu’il vient d’être dit, par les contradictions mises en évidence, par les différences de positions et de perspectives. D’une certaine manière, tout cela couvait depuis un long moment : un immense merci à Christophe, puis à Alex d’avoir mis les pieds dans le plat et de s’être livrer à cet échange fort intéressant qui permet enfin d’en parler ouvertement.

Comme Christophe, je remarque qu’il y a parfois des contradictions ou, du moins, des dysmétries entre les pratiques qui ont court dans le domaine du disque et celles qui ont court dans le domaine du livre, et qu’en général, moi le premier (donc je m’inclus dedans, c’est de l’autocritique), on est généralement moins attentif à la manière dont sont produits les livres qu’à la manière dont sont produits les disques. Ce qui est d’ailleurs complétement débiles puisque si, de fait, on ne produit pas un livre de la même manière qu’on produit un disque, de droit, rien ne justifie une telle différence de traitement. Je veux dire que les livres ne font pas ou ne devraient pas faire exception, et on devrait essayer d’avoir une même approche critique dans un cas comme dans l’autre. Il y a plus d’une dizaine d’années à Grenoble, était organisé une discussion autour du fanzine, disons sur la spécificité du fanzine par rapport aux autres productions littéraires (Christophe était présent, il me semble) : au début de la discussion le côté ‘autoproduction’ ainsi que la dimension ‘pied de nez’ à l’industrie des magazines rock étaient mis en avant, puis la discussion avait, de mon point de vue, vite dérapé sur comment procéder pour faire des tirages les plus grands possibles, pour toucher le plus de monde possible, diffuser largement nos idées, etc. A posteriori, cette discussion dévoile un fait majeur, l’écrasante majorité des personnes présentes sur ce jour-là étaient membres de la scène punk, seulement ce que l’on peut constater avec le recul c’est que : les personnes attachées à l’autoproduction et l’anarkopunk sont restés à faire des fanzines et des petites brochures politiques (généralement à destination des seul-es initié-es), les autres personnes présentes ont fini par monter une maison d’éditions touchant le large public et dont on peut aujourd'hui acheter les livres n'importe où, sur Amazon ou à la Fnac. Ce n'est pas du jugement, c'est du factuel.

Cela dit, comme Alex, de la même manière que je ne pense pas qu’il eut un âge d’or du punk (dès le départ, l’anarkopunk n’a représenté qu’une partie du mouvement punk et, dès sa naissance, cela a été le cas : on ne va pas revenir ici sur l’opposition entre Crass, les Clashs, les Sex Pistols, les Ramones, etc.), de la même manière, je ne crois pas que la scène punk soit en train d’être « gentrifié ». La scène punk n’est pas monolithique, ni homogène, et ne l'a jamais été. Il y a différentes tendances, pas seulement musicales mais aussi politiques et sociales. Il existe des approches politiques et des pratiques de production et de diffusion différentes dans la musique comme dans la littérature. Fabien Hein dans son livre sur la culture et l’autodétermination dans le punk distingue trois grandes figures : (1) la major (Universal), (2) le label indépendant (Dischord Records), (3) l’autoproduction (Crass Records). Si on reprend ces trois figures pour les appliquer à la production non plus de disques mais de livres, on peut schématiser de la façon suivante : (1) les gros éditeurs (Gallimard/Grasset), (2) les éditeurs indépendants (Le passager clandestin), (3) les livres autoproduits (je n’ai pas envie de donner d’exemples précis). Déjà, dans la sphère du disque, il a toujours existé des tensions, les anarkopunks reprochaient à Dischord Records leur compromission avec le système. Peut-être que je me trompe, mais il me semble que Christophe reprenne le même type d’argumentaire à propos des maisons d’éditions indépendantes. J’y souscris absolument (tes deux derniers posts expriment exactement le fond de ma propre pensée, mis à part le fait que j'aime autant les livres que les disques et que les deux ont autant changés ma vie). C’est d’ailleurs pourquoi j’ai continué à publier mes fanzines punks/philo pendant quelques années et qu’aussi, pour cette raison et aussi pour plein d’autres (notamment leur ligne politique), j’ai fini par m’embrouiller avec certaines des personnes de la discussion grenobloise qui ont montés leur maison d’éditions.

Mais, d’un autre côté, j’adhère aussi à la position d’Alex pour au moins deux raisons : d’une part, les publications d’une même personne peuvent être variés (Alex en est lui-même la preuve, puisqu’il continue à publier son fanzine, à œuvrer à la luttine en même temps qu’il publie son livre chez Tusitala) ; d’autre part, je reconnais que le mouvement anarkopunk dont je me sentais proche avant que je devienne un traite à la scène punk peut apparaitre comme moraliste au sens où non seulement il tend à ne pas faire de différence entre (2) et (1) et à les rabattre l'un sur l'autre (même si au niveau du contenu je peux apprécier les deux, au niveau de la production, je suis désolé mais Alex chez Tusital, ce n’est pas tout à fait pareil que Despentes chez Grasset) mais aussi au sens où le mouvement anarkopunk a irrémédiablement tendance à vouloir être hégémonique (en gros, le punk, le vrai punk, c’est l’anarkopunk, le reste, ce ne sont que des formes dégénérées dûes à l’influence néfaste de la société spectaculaire marchande). Comme toi Christophe, j’ai toujours peur que le punk devienne un objet de consommation comme les autres, qu’il perde de son pouvoir subversif, qu’il s’efface dans sa spécificité politique et historique au sein des productions musicales. Cette peur est légitime, et se trouve en partie fondée. Les exemples concrets ne manquent pas. Mais, comme le souligne Alex, il n’y a sans doute jamais eu autant d’objets littéraires (fanzines, livres, brochures) qui sortent en auto publication qu’en ce moment. Peut-être qu’avec le Covid on s’est retrouvé enfermé chez nous et qu’on s’est trouvé en position de ne rien pouvoir faire d’autres que lire et écrire (pas de concerts, pas de répètes pour les groupes, etc.).

Pour ne pas tomber dans la position du punk moraliste, je pense qu’il est important de reconnaitre cette diversité de productions, et de ne pas établir de hiérarchies trop vites. Par exemple, je ne sais pas comment situer Chéribibi là-dedans : peut-être à mi-chemin entre (2) et (3), mais ni vraiment (2) et ni vraiment (3). Chéribibi n’est pas un cas isolé. Beaucoup de personnes (certaines par choix, d’autres par contraintes, d'autres encore les deux à la fois) se trouvent comme ça à évoluer à mi-chemin, à se poser des questions, à se trouver dans des positions inconfortables, à faire des compromis sans cesse rediscuter, à s’efforcer de ne pas rentrer dans les cases : ni les cases de la société capitaliste marchande, ni les cases des universitaires sociologues, ni les cases de l’anarkopunk (je sais Christophe que tu ne seras pas d'accord avec l'expression "cases de l'anarkopunk", moi non plus je ne suis pas d'accord avec moi-même, parce que, comme toi, j'adhères à l'idée selon laquelle l'anarkopunk relève justement de cette puissance qui cherche à faire exploser les cases). Mais, justement plus le temps passe, plus je m’éloigne de la scène punk, et plus ce sont justement ces questionnements permanents, ces parcours étranges et ces chemins de traverses que je trouve les plus intéressants.

Encore une fois, merci à vous tous pour ces messages, c'est hyper stimulant des échanges comme cela, mais n'oublions pas que la contradiction ne doit pas empêcher la bienveillance.

Bisou collectif.

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