
J'ai mis un bon moment à me décider à le lire. Tout le monde me disait que c'était bien mais glaçant. Et puis le malaise d'entrer en empathie avec des fachos, tout ça ne me tentait qu'à moitié. En plus, toujours sorti à ma bibliothèque... Et pour finir, j'avoue que, vu la couv, j'hésitais un peu à me balader avec dans les transports.
Bon, enfin, deux mots de l'histoire : l'auteur alterne les narrateurs. Un chapitre pour Antoine, un pour Stanko.
Antoine, devenu facho "à cause d'un sexe de fille" puisqu'il a épousé par amour Agnès, la fille du président du "Bloc patriotique". Enfin, là c'est un peu réducteur : Antoine était déjà d'extrême-droite, tombé dedans dès sa plus tendre enfance. Antoine, c'est le facho lettré, cultivé, admirateur de Brasillach, et qui fait découvrir Michaux à un CRS, gentil et poète, mais néanmoins faf, c'est con la vie. La cinquantaine désabusée, ce qu'il voudrait, au fond, c'est partir seul avec Agnès, vivre leur amour tout simplement.
Stanko, c'est le contraire : fils de prolo-coco, victime de la casse de l'industrie dans le nord, passé à l'extrême-droite parce que tout ça c'est la faute aux "youtres, muzz, faces de citrons" (un peu dur à écrire, me demande comment il a fait, Leroy). Stanko a été de tous les coups bas, c'est en partie grâce à lui si le "Bloc" en est à ce point de notoriété, à un tel point qu'il est en pleines négociations pour entrer au gouvernement. Stanko est un meurtrier, il n'est pas le seul, mais il est sans pitié, il est devenu une machine à tuer, très difficile par contre à attraper. Car il faut l'éliminer, non seulement à cause d'une sombre histoire de vengeance mais aussi parce qu'il fait tâche : maintenant que le "Bloc" a besoin de respectabilité, il ne sera qu'un dégât collatéral.
Tout le roman se passe en une nuit, une nuit où Antoine et Stanko, chacun de son côté, revit ce qui l'a amené là où il est : la folie, le désespoir, l'attente de la mort en même temps que du pouvoir ? Flashes-back où l'on reconnaît pêle-mêle un borgne devenu manchot, une grosse blonde devenue mince et brune, un scissioniste de Vitrolles devenu une femme du côté de Nice, tout cela en reconnaissant Toulon au passage.
Le pouvoir, dans ce cas, ne sera pas arrivé par les urnes, mais parce que les banlieues ont foutu le feu : à la tv, un compteur affiche en permanence le nombre de morts dus aux émeutes. À 800, le Bloc se voit offrir des ministères, en attendant la présidentielle.
Au bout de la nuit, chacun fait "face à son destin" comme on dit, dans une fin flamboyante et désespérée.
Alors, le premier mot qui vient c'est : "froid dans le dos". Basé sur des faits réels, pour le passé récent, on se dit que le roman pourrait aussi être annonciateur d'un futur très proche.
C'est vrai qu'à certains moments, on entre presque en empathie avec Antoine (avec Stanko c'est un peu plus difficile). Ce sont les seuls d'ailleurs puisque les autres personnages ont peu de consistance psychologique, ce ne sont que des ombres tellement reconnaissables qu'on n'a pas besoin d'en savoir plus sur eux. Que demain les banlieues s'enflamment un peu plus qu'en 2005, que quelques flics crèvent, que ça parte sans qu'on sache vraiment d'où et tout ce que décrit Jérôme Leroy pourra arriver.
D'un point de vue littéraire, c'est bien, très fort même et l'on se prend à rêver de ce qu'un Fajardie (le modèle de Jérôme Leroy) aurait fait avec une telle histoire...