Préjugés, sexisme: combat permanent

Le punk n'est pas qu'une musique ! Ici on discute de l'actualité, des manifs et des résistances en lien direct avec notre culture. "Make punk a threat again", ça vous dit encore quelque chose ?!
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Le bidule
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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par Le bidule » 26 avr. 2023 15:23

Merci pour cet article de Madame Rap.
Perso, j'en conclu que c'est pas très productif de regarder la poutre dans l’œil du voisin. Ce qui m'amène à...
kaosyouki a écrit :
14 avr. 2023 21:02
Il me semble que madameRap aurait pu piocher dans le punk rock pour montrer que le rap n'est pas "la musique la plus violente et sexiste qui soit"
Certes le punk rock a sa bonne dose de sexisme, mais il me semble qu'il a au moins le mérite d'avoir eu en son sein des sous cultures qui sont parmi celles qui ont le plus mis avant beaucoup de discriminations diverses et variées. :hausse:
J'ai un peu de difficultés avec ce truc qui consiste à dire que quand même, on fait partie d'un milieu où on est un peu plus avancés que les autres sur les questions de discrimination et de domination.
Dans les faits, je trouve qu'on est pas aussi inclusive.f.s et bienveillant.e.s qu'on le prétend et que cette idée peut même participer à minimiser, voir à invisibiliser une partie des violences qui y ont cours.

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magouille&compagnie
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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par magouille&compagnie » 28 avr. 2023 17:40

Bonjour et bienvenue,
Le bidule a écrit :
26 avr. 2023 15:23
Dans les faits, je trouve qu'on est pas aussi inclusive.f.s et bienveillant.e.s qu'on le prétend et que cette idée peut même participer à minimiser, voir à invisibiliser une partie des violences qui y ont cours.
À propos de "la bienveillance" je comprends ton point de vue , et sans aucunement en faire une généralité il m'est arrivé plus d'une fois d'être d'accord avec toi . Concernant " l'inclusion" je crois pas être en mesure de pouvoir me prononcer.

Après par contre, tu m'excuseras, mais désolé je n'ai pas trop compris où tu voulais en venir quand tu écris ça , suivi du quote de Kaosyouki
Le bidule a écrit :
26 avr. 2023 15:23
Perso, j'en conclu que c'est pas très productif de regarder la poutre dans l’œil du voisin. Ce qui m'amène à...
:hausse:

Là aussi je pige pas trop quand tu dis ça :
Le bidule a écrit :
26 avr. 2023 15:23
J'ai un peu de difficultés avec ce truc qui consiste à dire que quand même, on fait partie d'un milieu où on est un peu plus avancés que les autres sur les questions de discrimination et de domination.
Je pinaille peut-être , mais moi concernant "les questions de discrimination et de domination" quand je lis Kaosyouki je comprends que "le milieu serai un peu plus avancé que d'autres" et non " plus avancé que les autres " , ce en quoi je suis d'accord avec lui . Pas toi ?
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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par Le bidule » 28 avr. 2023 21:04

Quand je parle d'inclusion, ce qui me vient en tête c'est surtout l'aménagement des lieux de concert que je peux fréquenter et qui pour la plupart ne sont pas soumis aux réglementations sur les lieux d'accueil de public (et quand bien même pour certains, il reste du boulot). Je pense par exemple à cet endroit où je dois monter sur une chaise pour attraper à bout de bras des grosses gamelles de cantines pour le catering, car la cuisine a été dimensionnée par des gars valides qui font minimum 1m80 (qui ne s'en serve même pas). Ou à ces lieux où on peut pas ou mal verrouiller la porte des chiottes et ou y a parfois ni poubelle, ni eau. Et puis, y a aussi pas mal d'endroit qui sont difficilement, voir très difficilement accessibles aux personnes ayant des problèmes de mobilité.
Je dis pas que c'est pas une préoccupation pour les personnes qui gèrent ces lieux, mais les années passent et ça bouge pas des masses.

[/quote]
Après par contre, tu m'excuseras, mais désolé je n'ai pas trop compris où tu voulais en venir quand tu écris ça , suivi du quote de Kaosyouki
Le bidule a écrit :
26 avr. 2023 15:23
Perso, j'en conclu que c'est pas très productif de regarder la poutre dans l’œil du voisin. Ce qui m'amène à...
[/quote]

Je comprends, c’était pas très clair. J'espère l'être davantage maintenant.
Je faisais référence à l'article en écrivant que "j'en conclu que c'est pas très productif de regarder la poutre dans l’œil du voisin."
Dans le sens où pointer du doigt le rap - ou tout autre style de musique - pour dire "regardez comment eux ils sont trop sexistes !", en général c'est pas très constructif. Cependant, ça peut être un moyen de faire diversion - un genre de diversion intellectuelle - et de ne pas s'attaquer à ces problèmes dans sa propre sphère ou à les minimiser. Du genre, les autres font pire, alors on se sent pas tout à fait concerné.e.s. et on laisse ça de côté.
Du coup, j'avais envie de réorienter la discussion vers le milieu punk.
D'où le fait que je rebondisse ensuite de façon malhabile sur les propos de Kaosyouki concernant les courants dans le punk rock qui s'opposent aux discriminations et à la domination. C'est parce que ces courants existent que j'aime le punk, mais malheureusement ça ne suffit pas à gérer les problèmes de sexisme et de domination masculine dans notre milieu.
Je précise que j'ai moi-même longtemps pensé que la scène punk n'était pas vraiment concernée par les problèmes de domination et de discrimination. Je me maintenais dans une sorte d'illusion idéaliste plutôt confortable.

[/quote]
Je pinaille peut-être , mais moi concernant "les questions de discrimination et de domination" quand je lis Kaosyouki je comprends que "le milieu serai un peu plus avancé que d'autres" et non " plus avancé que les autres " , ce en quoi je suis d'accord avec lui . Pas toi ?
[/quote]

Oui, je suis d'accord. Je me suis mal exprimé, désolée si ça prêtait à confusion.
Ce sont des questions qui me touchent et j'arrive là comme un chien dans un jeu de quille...

En tous cas, je trouve ça cool d'avoir un espace comme celui-ci pour discuter de ces questions. Merci de m'accueillir !

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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par bub » 15 mai 2023 15:32

magicraph a écrit :
25 avr. 2023 18:43
ce sont des concepts plus ou moins nouveaux, plutôt que parce que ce sont des anglicismes?
c'est un peu des deux, j'imagine, et on peut se poser la question de la portée de ces nouveaux" concepts (principalement sur les nouvelles technologies du monde virtuel mais aussi le chgt social - woke, queer, LGBT).
qu'est ce qu'un portable : un laptop ou un smartphone ? si tant est que les portables avec juste le téléphone, ca existe autant que les cabines téléphoniques... mais OK le monde évolue vite,
Ceci dit, j'avoue que je suis toujours largué sur l'utilisation du "cheh" et autres "boloss" moi qui en était resté à "fomb"...

Sinon pour le topic, à noter la parution chez le mot et le reste de
"PAS LÀ POUR PLAIRE! Portraits de rappeuses" Bettina Ghio qui date de 2020 avec Casey et Kenny Arkana entre autres
"COMPOSITRICES L’histoire oubliée de la musique" Guillaume Kosmicki, qui vient de paraitre ya quelques mois, pas mal chouette ca s'étale de l'antiquité à aujourd'hui et plutot musique classique/contemporaine pour le coup, mais à noter la présence de Nina Simone et des influences punks pour Jennifer Walshe qui est née la même année que moi, ca rapproche tout de suite ;) Et hop !

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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par niap » 17 mai 2023 10:09

Et pendant ce temps là, papon, libre jubile
l'état n'est pas ingrat quand on lui est servile
Chassant négligemment d’un revers de la main
L’image des enfants qui partent dans les trains

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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par bub » 24 mai 2023 8:11

hey, je partage la dernière newsletter des Glorieuses qui m'a interpellé

"Ils se sentent en confiance et plein d'assurance
Hier encore dans l'enfance
Aujourd'hui ce sont nos ados de France
Ils ont les problèmes de leurs âges, pas ceux d'un vieux lion en cage"...-> euh... en fait, pas vraiment. Démonstration.

"Il ne faut pas se contenter de les désirer, il faut les aimer", Isabelle Clair enquête sur la politique des amours adolescentes.par Rebecca Amsellem
Cette semaine, nous échangeons avec Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS. Elle a publié il y a quelques semaines Les choses sérieuses, une enquête sur les amours adolescentes aux Editions du Seuil.

Rebecca Amsellem Au regard des trois terrains que vous décrivez dans votre ouvrage, comment est-ce que vous pourriez qualifier aujourd’hui ce qui est considéré comme une « bonne masculinité » de la part des ados que vous avez interviewés ?

Isabelle Clair Il n’y a pas un seul modèle de masculinité particulièrement désirable et il n’y en a jamais eu qu’un, quelles que soient les époques. C’est pour ça d’ailleurs que Raewyn Connell, par exemple, parle de masculinité hégémonique : selon les moments, les classes sociales et les sociétés, il y a un modèle de masculinité qui est plus idéalisé que les autres. C’est le modèle qu’elle appelle le modèle hégémonique. En fonction notamment des milieux sociaux, puisque moi j’étais dans trois milieux sociaux très contrastés, le modèle idéal est variable. Quand on grandit dans une cité d’habitat social, quand on grandit à la campagne, quand on grandit dans les classes moyennes supérieures, on n’a pas les mêmes idéaux. Ce ne sont pas exactement les mêmes choses qui sont valorisées. Par exemple, dans les classes populaires, on peut valoriser des formes de violence, a minima des formes de violence verbale, comme parler haut et fort, faire des blagues sexistes et homophobes. Tandis que dans la bourgeoisie, y compris s’il y a des pratiques de violence verbale ou de violences physiques, ce sont plutôt des choses qui sont tues ou cachées et qui ne sont pas valorisables. En revanche, ce que j’ai retrouvé sur tous mes terrains, c’est le fait que la figure du « pédé » soit une figure repoussoir. Ce qui n’est pas désirable, c’est le fait d’être homosexuel. Parce que le fait d’apparaître gay, ça peut être valorisé, mais plus par les filles que par les garçons, et dans la bourgeoisie culturelle de mon troisième terrain (diplômée, à distance de la religion catholique, plutôt progressiste).

Rebecca Amsellem Il semble que si la notion de masculinité est assez différente d’une classe sociale à l’autre, le rapport au désir semble assez homogène de la part des filles et des garçons. Pour les filles, l’enjeu est de retenir son désir alors que pour les garçons, c’est il faut se lancer, surmonter sa peur et y aller.

Isabelle Clair J’ai retrouvé sur tous mes terrains un script sexuel dominant. Tous les ados, quand elles et ils commencent leurs premières expériences amoureuses et sexuelles, savent que les garçons doivent faire le premier pas, et que les filles doivent être dans la réponse. On ne récite pas la norme tous et toutes de façon mécanique, mais, c’est intériorisé par tout le monde que la façon de faire convenable, c’est celle-ci. Cette intériorisation de la norme est assez ancienne et on l’apprend progressivement, dans les discours, dans les représentations culturelles, les chansons, les films, les séries. C’est partout. Une fois qu’on en fait l’expérience, ce script sexuel majoritaire se traduit par des garçons qui doivent prendre l’initiative, y compris quand on ne sait pas encore faire, et faire comme s'ils savaient. Pour les filles, à l’inverse, il ne faut surtout pas trop montrer qu’on sait et éventuellement se retenir quand on a très envie.

Rebecca Amsellem Vous citez à un moment donné Virginia Woolf dans Un lieu à soi : les hommes qui « se disent en entrant dans la pièce, je suis supérieur à la moitié des gens ici » demeure « d’une importante extrême » : ressort incorporé qui permet de comprendre la domination de genre dans les relations intimes. Les comportements des filles et des garçons confortent cette assertion encore aujourd’hui ?t

Isabelle Clair Oui, et c’est quelque chose qui est difficile à saisir parce que nous sommes dans une société qui prône globalement l’égalité entre les sexes : la question du consentement est plus explicite, le fait qu’il aille de soi que les filles fassent des études, passent des diplômes, aient un emploi... C’est vraiment partagé par tout le monde. Et en même temps, j’ai trouvé dans mon enquête que les garçons ont intériorisé que les filles, ça vaut moins. Et je pense que les filles aussi l’ont intériorisé. Je prends en compte le fait que la politisation, le féminisme arrive généralement un peu après l’âge des ados de mon terrain. C’est rarement à 15 ans qu’on fait la rencontre de cette politisation-là qui permet éventuellement de prendre conscience de ça, de le renverser, d’avoir des modalités d’affirmation de soi, etc. Dans mon terrain, le lien le plus important pour les garçons, c’est les liens entre garçons. La relation amoureuse est une relation à la fois qu’il faut investir à cet âge-là, parce qu’on a du désir, on tombe amoureux, on a envie, parce qu’il faut faire la preuve qu’on est hétéro, parce que c’est une modalité d’affirmer sa virilité. Et la relation amoureuse hétérosexuelle entre en concurrence avec le lien entre garçons, qui est le lien principal. Alors que pour les filles, la relation amoureuse peut être le lien principal. Elles ont un goût pour les relations entre filles, mais c’est aussi parce que les garçons ne veulent pas d’elles dans leur groupe. On retrouve ces éléments dans le travail de Kevin Ditter sur l'expérience de l'amour dans l'enfance où les filles sont rejetées des jeux des garçons. On les retrouve aussi dans les travaux de Florence Maillochon, qui avait montré que les groupes de garçons sont quasi exclusivement peuplés de garçons, alors que les filles revendiquent très souvent des amis garçons. Évidemment, Virginia Woolf est un peu datée. Mais il y a chez les garçons une forme de mépris ou de dévalorisation de tout ce qui a à voir avec le féminin mais pas l’inverse, au contraire.
Rebecca Amsellem C’est comme si l’étymologie même du mot « virilité », faire preuve de, tenait au fait qu’il fallait rejeter quelque chose qu’on n’était potentiellement pas, féminin ou homosexuel.
Isabelle Clair C’est une des spécificités du genre par rapport à d’autres rapports de pouvoir comme peuvent l’être le rapport de classe ou de race. Le propre du genre, c’est la dichotomie : tout ce qui est masculin, n’est pas féminin. Le féminin et le masculin sont des choses opposées, on dit souvent "le sexe opposé". C’est vraiment la binarité et c’est pour ça qu’il y a une contestation politique, d'autant que la dichotomie implique toujours une hiérarchisation. On le voit dans la façon qu’ont les garçons et les filles de performer leur genre, la symétrie est systématiquement présente dans l’opposition. Les garçons, c’est tout ce qui n’est pas féminin. Coexistent la dichotomie, l’opposition et la hiérarchisation.

Rebecca Amsellem Être en couple rend accessibles pour les filles un savoir (sur le sexe), une sécurité (pas d’attouchement de la part d’autres personnes). Une position sociale aussi peut-être ?

Isabelle Clair Il y a une grosse différence entre la conjugalité adulte et la conjugalité adolescente, très cantonnée dans le relationnel. Il n’y a pas de partage de bien ni de cohabitation. Néanmoins, à partir du moment où les filles sont en couple, de fait, elles ont une position sociale qui est privilégiée par rapport aux filles dites « seules », parce qu’elles acquièrent de la respectabilité, parce qu’on ne peut pas les suspecter de faire du sexe avec des gens avec qui elles ne sont pas installées, dont elles ne sont pas amoureuses, etc. Je parle de couple parce que c’est comme ça qu’ils parlent de leur expérience amoureuse, c’est en conjugalisant, en utilisant le lexique « conjugal adulte ». Je le reprends aussi parce que ça témoigne du fait que la norme conjugale, le fait d’être à deux, c’est ça qui est désirable, c’est ça qui est bien. Le fait qu’ils et elles utilisent ce vocabulaire, aient des pratiques de conjugalité, c’est-à-dire d’exclusivité sexuelle, de mise en scène de soi avec quelqu’un d’autre, de partage de choses spécifiques dans la famille, etc. Ça montre bien que le conjugal est présent dans leur vie bien avant l’autonomie financière. Au-delà de ça, je ne suis pas sûre que le couple permet aux filles d’avoir une meilleure position sociale.
Rebecca Amsellem C’est une intuition fondée sur ma propre expérience adolescente. Quand on était au collège et qu’il y avait une fille qui se mettait en couple, elle appartenait tout d’un coup à la bande des garçons, « plus cool », « plus intéressante », que la nôtre.
Isabelle Clair Ça renvoie directement à ce qu’on disait précédemment sur la valeur sociale des filles et des garçons. C’est quand même « tellement cool » pour les filles de pouvoir être dans le groupe des garçons, alors que l’inverse n’est pas du tout vrai, ce qui est quand même assez révélateur de ce qui est cool et de ce qui ne l’est pas.

Rebecca Amsellem En parlant de pratique sexuelle, vous avez mentionné au tout début qu’en vivant dans une société où on parlait davantage de consentement. Néanmoins, la notion de consentement semble être brouillée par cette croyance vieille comme le monde qui dit que la pratique sexuelle doit être « fluide, naturelle » ?

Isabelle Clair La notion de consentement est en premier lieu une notion juridique permettant de qualifier ou non un rapport sexuel de viol, devenue noemie sociale. Dans le script sexuel, le consentement est très présent de la part des garçons et des filles, il y a bien une transaction entre la demande et l'attente de réponse. Ce qui vient buter contre le consentement, c’est la dissymétrie. Le garçon demande et la fille répond. Alors que la logique du consentement est une logique de réciprocité et d’égalité. Cette pratique, ce script sexuel, ce scénario culturel de la sexualité qui fait que c’est plutôt l’homme qui prend l’initiative et la femme qui est plutôt dans la réponse continue et ne commence vraiment à être remis en cause qu'un peu plus tard dans la vie, dans la vingtaine. On commence à le voir dans les pratiques de sexualité en population générale quand on les quantifie. À cet âge-là, quand on a déjà eu des expériences, on voit davantage les personnes se mettre à distance de la norme, la subvertir, avoir des plans cul, de coucher avec des mecs sans forcément avoir de relation avec eux, prendre l’initiative. Je prends l’exemple d’une fille sur mon troisième terrain qui a plutôt eu des expériences avec d’autres filles. Quand elle a des relations avec d’autres filles, y compris sexualisées, elle prend l’initiative, ça lui pose aucun problème. C’est plutôt elle, dans sa biographie, qui a l’initiative. Et quand elle se retrouve dans un script hétérosexuel, là, elle laisse le garçon faire. Elle se moque un peu de lui parce qu’elle trouve que c’est un peu long. Mais en tout cas, elle n’a pas du tout le même récit et elle le dit elle-même : « Quand je suis avec des filles, je suis plutôt entreprenante. » Je pense que là, il y a un hiatus entre le consentement et la pratique de ce qui est une rencontre sexuelle convenable.

Rebecca Amsellem Existe-t-il des ressorts qui déterminent les rapports de domination dans les pratiques hétérosexuelles qui vous ont étonnées dans votre terrain ? Des choses que vous n’aviez pas du tout suspectées, dont vous n’aviez pas du tout fait l’expérience.

Isabelle Clair Je crois que travailler pendant dix-huit ans sur le même sujet m’a progressivement ôté l’accès à la surprise. De mon côté, je vois la surprise de la part des personnes qui m’interviewent. Les personnes plutôt de gauche qui s’étonnent que rien n’ait changé et les personnes plutôt de droite qui en sont rassurées. L’effet décevant/rassurant (typique de l'enquête de sciences sociales) s’explique par le fait que les pratiques ordinaires sont dans la norme. La majorité des gens sont dans la norme. Et ce qui se passe au niveau du débat politique ou de la production culturelle, si ce sont des choses très importantes et qui ont des effets ensuite de redéfinition de la norme, prend du temps à se normaliser. Avant cela, il y a beaucoup de conflits, de débats, d’événements, de bouquins, de films...

Rebecca Amsellem Un des ressorts qui m’a vraiment surprise, c’était à quel point le système patriarcal tenait encore et toujours les filles par leur réputation. Cela m’a surprise car c’était déjà très présent pendant mon adolescence, pendant les siècles qui nous ont précédés aussi. En lisant votre enquête, je me suis dit : on tient encore les femmes par leur réputation. On fait en sorte qu’elles respectent les injonctions patriarcales avec ce pouvoir de l’estime contre la mauvaise réputation.

Isabelle Clair Oui, ça ne me surprend pas parce que ça ne me surprend plus. La réputation agit encore aux âges adultes aussi. Mais à l’adolescence, les filles sont dans une position de vulnérabilité. Les femmes adultes, elles, ont des moyens de contrer le stigmate en étant en couple, en étant éventuellement mariées, en ayant un enfant. La maternité est un des grands remparts contre la mauvaise réputation. Avoir un travail aussi. En gagnant de l’argent, elles ont des façons d’ancrer leur respectabilité dans autre chose que leur image sexuelle. Mais les ados, elles, ne sont à la fois plus des enfants, et deviennent donc des objets sexuels autorisés et elles n’ont pas les ressources des femmes adultes pour le contrer. Par ailleurs, avec ce script sexuel, elles doivent être constamment dans la réponse. Elles doivent être des objets de désir. Ça les met dans une injonction contradictoire permanente. Je pense que c’est pour ça qu’elles disent elles-mêmes qu’elles sont parfois "bloquées". Le blocage sexuel, le fait de ne pas être à l’aise avec son corps, la peur de devenir un objet de discrédit sexuel sont les résultats de cette injonction contradictoire et la marge de manœuvre est étroite.

Rebecca Amsellem Vous avez mentionné le fait que les ados n’avaient pas accès à un certain nombre de ressources auxquelles les femmes adultes, elles, ont accès pour contrer ces éléments liés à leur réputation. Or, les ressources que vous mentionnez sont systématiquement des injonctions patriarcales. L’injonction à devenir mère, l’injonction à être indépendante, mais pas trop. Il semble dans ce que vous dites que les femmes adultes ont intégré ces injonctions et naviguent entre celles-ci pour garder intacte leur réputation. Et, les ados, vu qu’elles n’en ont pas fait l’expérience, apprennent sur le terrain, littéralement, comment faire en sorte de préserver cette réputation (et l’importance de la préserver). Je trouve ça tellement injuste.

Isabelle Clair J’ajouterais que l’amour est une forme de révérence due aux garçons pour conserver cette réputation. Par exemple, le fait qu’on ne puisse pas faire du sexe avec des garçons sans être amoureuses d’eux est une preuve du rapport de domination. C’est un tribut accordé à cette valeur supérieure des garçons. Il ne faut pas se contenter de les désirer, il faut les aimer. Mais ça induit aussi des choses du côté des garçons. Et donc être amoureux, OK, mais pas trop, parce que sinon, ça veut dire qu’on est sous le pouvoir d'une fille. De toute façon, l’homme amoureux, la figure du garçon amoureux qui fait tout ce que veut la fille, etc., c’est une figure de garçon dominé. L’amour, ça fait ça quand même. Ça veut dire qu’on est sous l’emprise, ça veut dire qu’on perd de l’autonomie, on perd de la marge de manœuvre. L’amour est un des espaces où la domination s’exprime de la façon la plus cachée. Et c’est un domaine complexe : soit on a tendance à tout rabattre du côté de l’idéologie en affirmant que c’est un aveuglement, quelque chose qui sert à maintenir les femmes dans une position dominée soit on dit que c’est formidable, que cela suspend les rapports de force. Idéaliser l’amour et ne pas voir ce que ça permet comme expression du pouvoir est un problème. Car l’amour est organisé socialement pour maintenir les filles dans ce chemin étroit entre la pute et la sainte-nitouche. La fille en couple, c’est la fille qui quand même fait des trucs, qui est sexualisée, qui fait du sexe, mais avec un garçon dont elle est amoureuse et dans un couple qu’on va pouvoir contrôler. Avec l’amour, la société va pouvoir contrôler l’exclusivité sexuelle des filles.

:hausse:

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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par Le bidule » 24 mai 2023 16:35

Merci pour le partage. C'est très intéressant.
Le passage sur la réputation me fait particulièrement cogiter.

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magouille&compagnie
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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par magouille&compagnie » 19 juil. 2023 21:11

Le bidule a écrit :
24 mai 2023 16:35
Merci pour le partage. C'est très intéressant.
Bah de rien , c'est cool si t'as kiffé .
Du rap de vrai bonhomme :sm26: qui porte fièrement ses couilles :trinquons:
:p4: :p4:
Nan en vrai c'est top jouissif surtout quand ta la référence et que t'as capté sa réponse bien stylée ,ouaip dans leurs gueules aux rappeurs à l'écriture moisie et aux vieilles punchlines homophobes de keumés frustrés..... :sm25:





::pirate: :pirate: :pirate:


:dance: :dance: :dance:




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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par bub » 15 sept. 2023 17:17

meluzine a écrit :
21 avr. 2023 12:13
Le français n'a jamais été en voie de disparition,
au temps pour moi
https://tracts.gallimard.fr/fr/products/le-francais-va-tres-bien-merci a écrit :Parmi les poncifs battus en brèche figure la croyance selon laquelle la langue française serait menacée, voire « envahie », par sa voisine anglaise, qui aurait remporté la guérilla linguistique à coups d’emprunts répétés. Au contraire, les signataires rappellent que ces deux langues n’ont cessé d’être en contact depuis le XIe siècle et que, par exemple, derrière le verbe anglais to spoil, francisé en un récent et décrié « spoiler », se cache l’ancien français espoillier, issu du latin spoliare. « Si l’on tient au terme franglais, il convient bien mieux à l’anglais qu’au français », résument les linguistes, avant de préciser : « La lecture nationaliste d’un mot est un contresens, car elle néglige l’histoire de la langue. Nous naissons dans une ou plusieurs langues, en oubliant qu’on les reçoit en héritage et qu’elles sont le produit d’une riche et complexe réalité. »
(paru en mai 2023...)

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Re: Préjugés, sexisme: combat permanent

Message par meluzine » 18 sept. 2023 19:39

bub a écrit :
15 sept. 2023 17:17
« La lecture nationaliste d’un mot est un contresens, car elle néglige l’histoire de la langue. Nous naissons dans une ou plusieurs langues, en oubliant qu’on les reçoit en héritage et qu’elles sont le produit d’une riche et complexe réalité. »


C'est aussi ma conviction de polyglotte en tout cas.
Ca se vérifie en pratiquant ;)

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